Réapprendre à écouter l’herbe qui pousse, Amar Bellal*

*Amar BELLAL est rédacteur en chef de Progressistes.


On pourrait être surpris par la simultanéité des révoltes populaires qui font l’actualité un peu partout dans le monde, dans des pays qu’on croyait figés par des années de dictature et d’étouffement de l’expression démocratique. Irak, Soudan, Haïti, Algérie, Iran… des mobilisations sociales qui prennent des formes différentes, mais qui étonnent par la détermination et l’intelligence que déploie la société civile, pourtant quasi embryonnaire, tout en évitant de tomber dans les pièges des divisions ethniques, religieuses ou autres.

On découvre alors que le monde a changé. L’évolution s’est faite sur plusieurs décennies, discrètement, et ces mouvements en sont indéniablement une conséquence. Une des explications, peut-être la première, de ces révoltes, c’est la démographie : il est plus difficile pour une oligarchie ou un clan militaire de continuer à brider tout un pays et de le tenir à l’écart des richesses produites lorsque la population passe du simple au double, voire au triple. D’autant plus difficile qu’on assiste aussi à une élévation générale du niveau d’éducation et des qualifications rendues nécessaires pour faire tourner une économie qui s’est modernisée. La pression populaire se fait alors plus forte, les exigences sociales plus pressantes et plus précises ; et, l’éducation aidant, l’intelligence politique se construit : maîtrise du discours, connaissance de son histoire, et en particuliers des injustices subies, conscience du décalage avec des pays plus avancés… Même les pires dictatures, comme celle qui sévit au Soudan, ne peuvent pas grand-chose face à une telle « montée des eaux », certes lente, qui peut prendre de longues périodes mais qui finit par déborder à un moment donné.

Les pouvoirs militaires, avec leurs méthodes faisant appel à la force et à la manipulation des foules, révèlent d’un coup leur caractère ringard : ces méthodes, qui ont pu fonctionner il y a vingt ans, s’avèrent désormais inefficaces. Et ils se sentent complètement déboussolés et dépassés face à une société qui a changé.

Quand on s’intéresse aux indicateurs de long terme de ces pays, on n’est pas si surpris de cette simultanéité des révoltes, car ils révèlent que partout dans le monde la population est plus éduquée, mieux informée et plus exigeante, qu’elle ne se contente plus des miettes, et est donc prête à remettre en cause l’accaparement des richesses par une minorité d’ultraprivilégiés.

Ainsi, si on s’éloigne du brouhaha médiatique de l’Histoire avec ses événements marquants, pour peu qu’on tende l’oreille, on entendra cette herbe qui pousse silencieusement… celle qui va provoquer inéluctablement des changements globaux, qu’on a intérêt à anticiper. Consciente de cela, notre revue ne cherche pas systématiquement à coller à l’actualité immédiate, mais s’efforce modestement de l’éclairer en décrivant ces mouvements de fond en rapport avec l’évolution du monde du travail, les avancées scientifiques et techniques, et la nouvelle donne écologique. n

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