Inégalités salariales femmes/hommes au coeur de toutes les inégalités, Rachel Silvera*

Jamais véritablement combattus, les écarts de salaires et de carrières des femmes par rapport aux hommes restent un problème majeur, résultat de stéréotypes sexistes qui perdurent dans la société. 
*Rachel SILVERA est économiste, maîtresse de conférences université Paris-Nanterre, codirectrice du réseau de recherches Mage (Marché du travail et genre).

Plus d’une dizaine de lois sur l’égalité salariale entre les femmes et les hommes imposent normalement en France un salaire égal pour un travail de valeur égale. Tout récemment, un nouvel index sur l’égalité salariale a été mis en oeuvre1. Pourtant, les femmes continuent d’être payées « un quart en moins »2 que les hommes. Pourquoi et comment agir ? Il faut regarder de plus près ce que représente cet écart afin de trouver des solutions.
DES CAUSES ET DES SOLUTIONS MULTIPLES
Tous métiers et postes confondus, le salaire mensuel moyen des femmes est effectivement inférieur de 25,7 % à celui des hommes. Un premier constat s’impose: les femmes travaillent en moyenne moins longtemps que les hommes. Le temps partiel explique ainsi une grande partie des écarts de salaires. On pourrait, comme le font beaucoup de statisticien(ne)s, économètres et décideurs (-euses) notamment au plan européen, raisonner sans prendre en compte le temps partiel, en utilisant par exemple les écarts de salaires horaires. Les différences sont alors nettement moins élevées (autour de 16 %). Mais ce qui compte, n’est-ce pas ce que chacun(e) aura gagné à la fin du mois ? Annuler l’effet du temps partiel, c’est considérer que c’est un choix individuel des femmes de travailler moins, et non un fait social.
Or, justement, dans une très large majorité des cas, le temps partiel est un fait de société : soit parce que les entreprises proposent des contrats à temps partiel à des femmes peu qualifiées, par exemple dans l’aide à domicile, dans le commerce ou le nettoyage; soit que la société « incite » les mères de famille à réduire leur temps de travail pour s’occuper de leurs enfants, faute de modes d’accueil suffisants, faute de partage du temps parental avec les conjoints…
La solution? Limiter les temps partiels courts, synonymes de pauvreté, offrir un vrai service d’accueil de tous les enfants (ce qui crée d’ailleurs des emplois), inciter à un meilleur partage des tâches domestiques et familiales (ce n’est pas qu’une question privée!). Et pourquoi pas repenser aussi à une réduction collective du temps de travail pour tous et toutes, plutôt que le temps partiel pour les femmes seulement ?
L’autre grande source des inégalités salariales tient du fait que femmes et hommes n’occupent pas les mêmes emplois : elles restent concentrées dans des professions moins valorisées et moins rémunérées (en lien avec la santé, le soin aux dépendants, l’éducation, le nettoyage).
Des « parois de verre » limitent la possibilité des femmes de s’orienter vers d’autres métiers et secteurs d’activité. À cela s’ajoutent les « plafonds de verre » : même quand elles sont nombreuses dans un secteur, elles n’occupent pas en proportion les postes d’encadrement, et elles n’investissent pas les lieux de pouvoir dans l’entreprise.
Lutter efficacement contre la ségrégation professionnelle comporte deux volets :
d’une part, il faut poursuivre sur la voie de la mixité (pour les femmes et les hommes, dans les choix de filières de formation et d’emploi, faire en sorte que les femmes soient présentes dans toutes les filières techniques et que des hommes intègrent enfin les filières sociales et administratives) ;
d’autre part, il faut revaloriser les professions à prédominance féminine.
En effet, si les femmes sont à plus de 80 ou même 90 % parmi les aides à domicile, aides-soignants, infirmiers, professeurs des écoles, caissiers ou femmes de ménage, c’est parce que l’on a supposé que ces emplois leur étaient « naturellement » dévolus. C’est pourquoi ils ne sont pas correctement reconnus en termes de qualifications, de formation et de salaires.
À l’instar du système québécois, ces professions devraient faire l’objet de comparaisons avec des professions de filières techniques à prédominance masculine, de « valeur égale » et être ainsi revalorisées3.
C’est ce que nous avons tenté dans les métiers de la santé : par exemple, les infirmières ont obtenu, après de longues luttes, une certaine revalorisation de leur rémunération. À quel prix? Elles sont passées en catégorie A (ce qui correspond à leur niveau de diplôme, qui est bac + 3), mais en échange elles doivent renoncer à la « catégorie active », c’est-à-dire qu’elles ne peuvent plus partir en retraite anticipée du fait de la pénibilité de leur travail (pénibilité qui n’a pas diminué, bien au contraire). Qui plus est, si on compare leur grille de rémunération à celle des techniciens (chargés de la maintenance des locaux) qui sont recrutés bac + 2, en début de carrière elles gagnent 120 € de plus par mois. Mais en fin de carrière les techniciens supérieurs hospitaliers peuvent gagner jusqu’à 400 € de plus qu’elles (du fait de leur indemnité forfaitaire technique), avec un déroulement de carrière beaucoup plus « tranquille » pour eux.
La revalorisation de toutes les professions à prédominance féminine, invisibles et pourtant vitales pour notre société, est une priorité absolue. Ces professions féminisées seront alors plus attirantes pour les hommes aussi.
Les salariées gagnent moins que les salariés aussi parce qu’elles ont un déroulement de carrière beaucoup plus lent. Les écarts se creusent au fil du temps. Globalement, nous dit l’économiste Thomas Piketty, l’écart de revenu (tout confondu) est de 25 % à vingt-cinq ans et de… 64 % à soixante-cinq ans4 !
De cela on ne parle pas. Comme si les questions d’égalité salariale se limitaient au moment de l’embauche, et non tout au long de la vie. D’autant plus qu’au bout de compte les différences de niveaux de retraite sont encore plus importantes que celles des salaires : plus de 40 % d’écart en moyenne pour les droits directs. L’une des voies à suivre est de comparer les parcours professionnels des femmes et des hommes pour exiger la réparation du retard (le droit sur les discriminations le permet) et faire en sorte que toutes les femmes aient accès aux mêmes promotions et avancements, que la maternité n’ait pas d’incidence sur les carrières…
Une autre raison de cette inégalité de revenus tient au fait qu’elles touchent moins de primes : un quart en moins de primes et un quart en moins de femmes en perçoivent par rapport aux hommes. Une part de ces primes est liée au poste occupé (heures supplémentaires, horaires atypiques, pénibilité). Pour le reste, elles dépendent des performances individuelles.
Comme par hasard, les femmes en bénéficient moins, souvent parce que les critères d’attribution reposent sur des biais sexistes : être totalement disponible, jamais absente dans l’entreprise… Par ailleurs, dans les emplois à prédominance féminine, la pénibilité est moins reconnue, les horaires atypiques n’ouvrent pas droit à des primes, comme travailler le samedi quand on est hôtesse de caisse… Il serait nécessaire d’intégrer des primes dans le calcul du salaire de ces emplois et veiller à ce que les critères d’évaluation des salarié(e)s ne soient pas discriminants.
Et même lorsque l’ensemble de ces facteurs est pris en compte, les inégalités salariales demeurent. Il reste un « résidu », une part de l’ordre de 10 % (mais autour de 25 % chez les cadres) qui ne s’explique pas par toutes ces variables : à poste égal, une femme sera moins payée parce que… c’est une femme. Elle sera soupçonnée d’avoir, de vouloir, d’avoir eu des enfants, de n’être pas performante, pas assez mobile…
La solution est difficile à mettre en oeuvre, car ce sont des stéréotypes sexués qui sont à l’oeuvre : on considère encore, même si on ne le dit pas, que le salaire des femmes reste un salaire d’appoint, puisqu’il y aurait forcément un homme pour s’occuper d’elle !
PREMIERS INDICES SUR L’INDEX D’ÉGALITÉ SALARIALE
Peut-on penser que la nouvelle loi sur l’index d’égalité salariale change la donne ?
Cet index comprend cinq indicateurs, notés au total sur 100 points, dont le premier est le plus important : les écarts salariaux par catégorie professionnelle et âge (40 points sur 100) ; la part des femmes augmentées dans l’année par rapport aux hommes (20 points) ; la part des femmes promues (15 points) ; le nombre de femmes augmentées de retour de congés maternité (15 points); enfin, la part des femmes dans les dix plus hautes rémunérations (10 points). Au total, les entreprises ayant un index inférieur à 75/100 pourraient être sanctionnées d’ici à trois ans.
Selon un premier bilan établi fin mars 2019 par le ministère du Travail sur les entreprises de plus de 1 000 salariés, de très bons élèves sont cités, comme Sodexo Hygiène et Propreté, la MAIF ou CNP Assurances, qui affichent 98 ou 99/100; d’autres pourraient mieux faire…
Et le ministère de « tirer la sonnette d’alarme » sur deux indicateurs non respectés : le nombre de femmes augmentées de retour de congés maternité (alors que c’est une obligation depuis 2006!) et le nombre de femmes dans les plus hautes rémunérations.
Quid du premier indicateur ?
Là, les résultats sont bons : les entreprises obtiennent en moyenne 37/40! Mais où sont passés les écarts de salaire ? Pensez-vous que c’est en attribuant les mêmes augmentations aux femmes de retour de congé maternité et en ayant quatre femmes parmi les dix hautes rémunérations – les deux objectifs du gouvernement – que ces écarts vont se réduire? La construction de l’indicateur sur l’écart de salaire est en réalité biaisée : lorsque les écarts sont calculés par catégorie professionnelle, il y a un « seuil de pertinence » de 5 % qui est déduit. Et puis il y a un barème et, par exemple, l’entreprise obtient 25 points (sur 40) pour un écart salarial corrigé de 10 % (donc 15 % d’écart en réalité). Et donc une entreprise peut avoir facilement 80 ou 90 points au total, avec un écart salarial de plus de 15 %!
Il est clair que le compte n’y est pas et que les milliers de femmes, parmi les bas salaires, savent à quoi s’attendre : aucune revalorisation salariale, et même peut-être la remise en cause d’enveloppes de rattrapage qui avaient pu être négociées dans certaines entreprises. Tant que les salariées et elles-mêmes, et leurs représentant(e)s ne se battront pas pour en finir avec ces inégalités, le principe « un salaire égal pour un travail de valeur égale » restera un mot creux.
1. Décret 2019-15 du 8 janvier 2019.
2. Pour reprendre le titre de mon ouvrage, Un quart en moins. Des femmes se battent pour en finir avec
les inégalités salariales, La Découverte, 2014.
3. Pour une approche détaillée de cette question, voir notamment Marie Becker, Séverine Lemière, Rachel
Silvera, Un salaire égal pour un travail de valeur égale. Guide pour une évaluation non discriminante des
emplois à prédominance féminine. Défenseur des droits, 2013.
4. http://piketty.blog.lemonde.fr/2016/11/07/inegalites-salariales-hommesfemmes-19-ou-64/
Légende de l’image mise en avant pour l’article:
Le temps partiel est un fait de société. Les entreprises proposent souvent des contrats à temps partiel à des femmes peu qualifiées: dans l’aide à domicile, dans le commerce ou le nettoyage…

Une réflexion sur “Inégalités salariales femmes/hommes au coeur de toutes les inégalités, Rachel Silvera*

  1. Cet article part d’une préoccupation plus que louable. Il insiste à juste titre sur le précariat, le temps partiel subi, comme fléaux qui touchent prioritairement le travail féminin. Mais il est dommage qu’à force de vouloir enfoncer le clou, il en arrive à utiliser des arguments plus discutables. Ainsi :

    « Des « parois de verre » limitent la possibilité des femmes de s’orienter vers d’autres métiers et secteurs d’activité. »

    Il serait bon d’expliquer de quoi on parle ici, c’est-à-dire de donner des exemples concrets. Il n’est aujourd’hui guère de métiers qui ne soient investis, ne serait-ce que minoritairement, par les femmes. Même la chose militaire n’est plus une chasse gardée masculine, ce qui est historiquement tout à fait exceptionnel. L’expression « paroi de verre » semble donc exagérée, même s’il reste de grandes inégalités de répartition.

    « si les femmes sont à plus de 80 ou même 90 % parmi les aides à domicile, aides-soignants, infirmiers, professeurs des écoles, caissiers ou femmes de ménage, c’est parce que l’on a supposé que ces emplois leur étaient « naturellement » dévolus. C’est pourquoi ils ne sont pas correctement reconnus en termes de qualifications, de formation et de salaires. »

    L’analyse paraît ici légère. On n’a pas vu que le *métier* de professeur des écoles (qui n’est pas un simple « emploi ») ne soit pas reconnu en terme de formations : la République a longtemps eu un réseau d’écoles dédiées, les écoles normales ; et le métier continue aujourd’hui de faire l’objet de formations officielles. Il faudrait aussi une analyse sur le temps long des salaires des instituteurs, pour élucider ce qui relève de décisions politiques récentes (paupérisation progressive du corps enseignant, y compris du secondaire) ou d’explications systémiques durables (l’hypothèse de l’auteur selon laquelle la féminisation du métier d’instituteur aurait spontanément produit de bas salaires).

    En fait, en mettant à part comme il le faudrait le cas des professeurs des écoles, il n’est pas difficile trouver des métiers masculins qui soient tout aussi peu reconnus que ces métiers féminins. Les livreurs, vigiles, plongeurs, etc. – tous les pendants masculins des emplois féminins dans l’économie contemporaine de services à faible valeur ajoutée – ne sont pas plus « reconnus en termes de qualifications, de formation et de salaires ». Si l’auteur n’était pas obnubilée par la défense d’une spécificité de la condition féminine face au travail, elle en conviendrait aisément.

    « Comme par hasard, les femmes en bénéficient moins, souvent parce que les critères d’attribution reposent sur des biais sexistes : être totalement disponible, jamais absente dans l’entreprise… »

    Ici, on verse dans l’absurde. En quoi la rémunération d’une disponibilité accrue est-elle un « biais sexiste » ? La société a besoin de gens qui sont prêts à s’engager pour faire tourner les systèmes industriels, réparer des installations électriques, intervenir sur des sinistres, faire face à une épidémie soudaine, etc. à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. De telles astreintes doivent évidemment être rémunérées, c’est une question de justice sociale. Et même en-dehors de ces cas flagrants, le fait qu’un travailleur puisse se consacrer un peu plus à son travail en cas de surcroît passager d’activité a évidemment une valeur économique (toutes les activités de production et de services ne pouvant être rigoureusement planifiées à l’avance), qu’il est juste de rémunérer correctement.

    On rejoindra l’auteur sur le fait qu’il faut prendre en compte la pénibilité, les horaires décalés ou irréguliers du travail féminin. Il faut évidemment lutter contre la vision qui fait de la femme se consacrant à son travail une mauvaise mère, qui enjoint aux femmes de sacrifier leur métier et leur engagement professionnel et les assigne à l’économie ménagère. Là sont les biais sexistes qu’il faut combattre. Mais il est étonnant de lire, dans une revue éditée par le PCF, un argument faisant de la rémunération de la disponibilité au *travail* une sorte de privilège sexiste…

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