L’intelligence artificielle d’IBM au Crédit Mutuel : gain de temps ou destruction d’emplois?, Valérie Missilier*

Le numérique transforme les métiers de la banque, et les conseillers sont débordés. Créer des postes ou faire le pari de la fuite en avant et accélérer l’investissement dans le numérique ? Ne s’agirait-il pas d’affaiblir la rentabilité de la banque… mutualiste ?
* Valérie Missilier est déléguée syndicale nationale Crédit mutuel et secrétaire à la politique financière de la fédération CGT du Personnel des banques et assurances.


La naissance du partenariat entre l’intelligence artificielle du géant états-unien IBM, un logiciel nommé Watson, et le groupe Crédit mutuel-CIC date de 2016. En avril 2017, Watson avait définitivement pris position dans les 5000 agences CIC et caisses locales du Crédit mutuel Alliance fédérale, et ce sont aujourd’hui 20000 conseillers qui l’utilisent quotidiennement.

Un nouveau collègue… virtuel
Le Crédit mutuel-CIC a depuis longtemps fait en sorte d’être à la pointe de la technologie en matière de système informatique. Mais ce positionnement précurseur n’est pas allé sans difficultés. Pour les salariés du groupe, les évolutions ont invariablement signifié une augmentation de la charge de travail et du stress : augmentation du nombre de courriels et des appels à traiter, alertes informatiques intempestives pour rappeler aux conseillers les relances commerciales à faire, assistance aux sociétaires-clients peinant à s’approprier les nouveaux outils, recherches pénibles dans la base de données mal ordonnée intégrant les savoirs nécessaires pour répondre aux clients sur la multitude de produits commercialisé par le groupe…, le tout s’ajoutant bien entendu aux rendez-vous clients et autres tâches traditionnelles. Pour beaucoup, la tension est permanente entre réaliser des heures supplémentaires pour rendre le service dû aux sociétaires ou quitter le poste de travail le soir avec un goût d’inachevé. Les salariés et leurs organisations syndicales ont estimé que cette situation engendrait 45 min supplémentaires de travail par jour, sans compensation, avec pour conséquence une hausse permanente du nombre de démissions et de burn out. Pour la direction, évidemment, cette situation découlerait de la mauvaise organisation des salariés du groupe. Les élus du personnel, eux, ont mené plusieurs études qui ont toutes conclu au fait qu’il fallait augmenter les effectifs. Ils n’auraient jamais pensé que leur nouveau collègue serait virtuel et constituerait une menace pour les emplois.

Il suffit de lui poser une question
La première mission confiée à Watson, en 2017, a été de trier les courriels et de détecter l’intention et le besoin du sociétaire-client. De fait, le logiciel est capable de rediriger certains courriels vers le conseiller accueil, comme ceux concernant la mise à disposition d’une carte bancaire ou d’un chéquier ou les commandes de monnaie. Il propose également une réponse pouvant être adressée directement aux clients concernant, par exemple, les taux d’épargne. Il permet aussi d’ouvrir d’un seul clic l’agenda du conseiller s’il a détecté une demande de rendez- vous ; le conseiller garde la possibilité d’utiliser ou non les propositions du logiciel mais doit, pour continuer à alimenter l’amélioration du système, dire ensuite si oui ou non Watson a bien compris la demande du client. Watson est également un moteur de recherche dans la base de données. Il suffit de lui poser une question concernant l’assurance, l’épargne, la santé ou la prévoyance pour qu’il mène le conseiller à la fiche reprenant, par exemple, la règlementation… à la manière du guidage que pouvaient fournir auparavant les collègues spécialisés.
Le gain de temps est évalué par Nicolas Théry, président du Crédit mutuel Alliance fédérale, à 200 000 jours-homme, 10 jours par an et par conseiller. Pour la direction, ce sont 60 millions d’euros qui sont ainsi économisés chaque année, et le temps gagné doit permettre aux salariés de se former, par exemple aux nouvelles obligations légales ou aux nouveaux produits à commercialiser. Mais pour la CGT il est difficile d’imaginer que l’entreprise dépense 40 millions d’euros simplement pour faire gagner 10 jours par an aux salariés, soit 3 min par jour ! D’autant que les formations en salle ont été remplacées par des formations en ligne, laissant chacun se débrouiller par soi-même. Seuls quelques futurs experts – gestionnaires de patrimoine, chargés clientèle professionnelle, référents nouvelles technologies – bénéficient de réelles formations.

Plus de travail, moins de conseillers, plus de profits
Le deuxième pilier du plan stratégique 2019-2023 de la banque est intitulé « Être une banque engagée et adaptée au nouveau monde, une organisation simplifiée et un accompagnement de tous les salariés ». Pourtant, aucune négociation n’est ouverte concernant la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et carrières). Les précieuses minutes prétendument gagnées grâce à Watson auraient pu être attribuées au traitement des tâches administratives, en dehors des horaires de présence des clients et de manière à améliorer les conditions de travail, diminuer le stress et rendre un service de qualité aux sociétaires. Or il n’en n’est rien, bien au contraire, le temps de travail des conseillers a même augmenté depuis janvier 2018, passant de 35 à 37 heures hebdomadaires. Des bureaux, agences et caisses locales ferment, éloignant les conseillers de leur client. Et il n’est pas rare que les agences fonctionnent à demi-effectif, car les congés maternité, arrêts maladie et départs en retraite ne sont pas remplacés. Entre l’automatisation des tâches et les multiples possibilités données aux clients de soumettre eux-mêmes en ligne leurs dossiers, le nombre de conseillers apparaît voué à toujours plus se réduire. Et pour ceux qui restent la charge explose !
Dans le même temps, les plans stratégiques annoncent des bénéfices records, à hauteur de 4 milliards d’euros à horizon 2023. Les fonds propres de la banque dépassent déjà ceux de la Caisse des dépôts et consignations. La rémunération des élus aux conseils d’administration des fédérations du Crédit mutuel a été augmentée, et la direction chercherait désormais la possibilité de verser une autre forme de rémunération aux propriétaires de cette banque autrefois mutualiste. Présenté comme une réponse aux difficultés bien réelles des employés, Watson leur aura certes apporté un peu d’aide pratique, mais aura surtout constitué une occasion parmi bien d’autres pour une fois de plus augmenter les profits et l’exploitation des travailleurs.

Une réflexion sur “L’intelligence artificielle d’IBM au Crédit Mutuel : gain de temps ou destruction d’emplois?, Valérie Missilier*

  1. Cet exemple montre toute la nocivité des logiciels propriétaires.un autre cas indique la voie à suivre, celui des livreurs de pizza esclaves de plateforme capitalistiques qui ont fondées une coopérative et crée un logiciel libre avec une licence interdisant de s’en servir pour des fins de profit
    le logiciel libre peut être une arme anti capitaliste si elle prend le chemin d’être le produit d’une coopération entre travailleurs du logiciel et d’entreprises élevant ainsi la démocratie et une nouvelle conception du travail et de l’entreprise
    Il y a aussi à s’inspirer des fablab agricole qui brisent les verrous d’utilisation de machines « intelligentes »réparables fort cher que par des informaticiens maisons et qui en fabriquent d’autres adaptées aux nouvelles pratiques bio

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