Livres (N°22)

Un peu de science ça ne peut pas faire de mal JACQUES TREINER Cassini, Paris 2017, 192 p.
Un bijou de concision, de clarté et de pertinence que cette trentaine de petits textes issus d’émissions radiophoniques sur les sciences, souvent articulés avec des choix de société de grande actualité! C’est un livre de format modeste qui, dans la mesure du possible, explique, donne le pourquoi des affirmations qu’il avance – en contraste avec les effets d’annonce, souvent tapageurs et purement descriptifs qui constituent le quotidien de la littérature de vulgarisation scientifique. Et les raisonnements sont tellement clairs que, après lecture, on se sent en possession non pas d’une opinion mais d’un savoir bien fondé, propre à nourrir, en connaissance de cause, des discussions et des choix. Les textes se terminent par une rubrique bibliographique « Pour aller plus loin » qui concerne essentiellement des sites internet, ce qui intègre naturellement ce petit livre dans le contexte numérique de notre société. Plusieurs textes expliquent et illustrent la transition énergétique dans le cadre du changement climatique. On y apprend, en particulier, la différence fondamentale entre puissance installée et puissance délivrée, démontant ainsi nombre de raisonnements fallacieux qui nourrissent la cacophonie ambiante, dont les conclusions disparates peuvent faire croire que nous sommes devant un éventail de possibilités : la dure réalité montre le caractère illusoire de buts que le volontarisme ne saurait surmonter, restreignant énormément ces possibilités. Le plaisir de comprendre est parfois amer… D’autres textes concernent des sujets tels que l’âge de la Terre, les trous noirs, la démographie mondiale, le hasard, et même… le rôle de la peur! Chacun y trouvera, quel que soit son niveau de connaissances, matière à réfléchir, à reconsidérer sous un autre angle ce qu’il savait, à nourrir des échanges et discussions fructueux. Pourquoi de textes de ce type ne sont-ils pas plus largement diffusés et connus? EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA

Les Trajectoires chinoises de modernisation et de développement JEAN-CLAUDE DELAUNAY Éditions Delga, Paris, 368 p.
Dans la première partie de ce livre, l’auteur examine les trajectoires réelles de la Chine après Mao. Il montre comment son développement industriel constitue en lui-même une vraie révolution, puisqu’il met un terme à plusieurs millénaires d’histoire agricole. Dans la seconde partie, il étudie les trajectoires idéologiques et théoriques qui ont favorisé ce développement. Les sujets de préoccupation ne manquent pas aux lectrices et lecteurs de la presse communiste, aussi cette étude leur sera-t-elle utile dès à présent. Elle permet de comprendre que la Chine d’aujourd’hui est le fruit d’une dynamique. Le PCC a mis du temps à en percevoir la spécificité, les conséquences du planning familial, le besoin de doter la petite paysannerie chinoise de rapports de production lui permettant de nourrir la population, la nécessité d’ouvrir le pays sur le monde pour développer l’industrie. Le rôle du PCC à la tête de l’État chinois, les débats internes et la dynamique contradictoire que ces débats impulsaient ont débouché sur le concept d’économie socialiste de marché. Face à cette étrangeté, Jean-Claude Delaunay propose une analyse de ce que fut le marché bien avant la mainmise du mode de production capitaliste sur cette structure. Il montre qu’on doit éviter de confondre présence d’entreprises capitalistes dans une économie et nature capitaliste de cette économie. L’économie chinoise est orientée vers la satisfaction des besoins populaires par l’intermédiaire de ce que les dirigeants chinois nomment « la dictature du peuple ». Il existe bien une liaison intime entre le socialisme et le marché, mais le marché du socialisme est radicalement différent du marché capitaliste.  PAULE LANTA

Le Mensonge de la finance NICOLAS BOULEAU Éditions de l’Atelier, 222 p.
L’auteur, mathématicien, a été un précurseur en créant une formation aux mathématiques financières à l’école des Ponts. Il est rare qu’un fin connaisseur des techniques mathématiques utilisées en finance s’exprime sur les marchés financiers, archétype de la notion de marché chère aux économistes néo-classiques qui pèsent sur la vie économique et sociale d’un poids implacable. Il n’est pas possible de traiter tous les sujets abordés dans son livre, aussi me limiterai-je à deux points qui me semblent cruciaux: la remise en cause des analyses de Friedrich Hayek, Kenneth Arrow et Gérard Debreu concernant l’équilibre des marchés ainsi que l’extension aux marchés incertains et l’analyse des marchés de ressources non renouvelables. Pour ce qui est du premier point, Nicolas Bouleau s’attaque au dogme de l’efficience des marchés et du postulat qui suppose que toute l’information nécessaire pour les agents intervenant sur les marchés se trouve dans les prix des marchandises. Il réussit à donner au lecteur les éléments mathématiques nécessaires à la compréhension de son propos sans être trop technique. Il montre à l’intérieur même des théories mathématiques comment la spéculation généralisée rapproche le fonctionnement des marchés financiers de l’idéal néo-classique et comment apparaît alors inexorablement la volatilité qui génère un « brouillard » sur les prix. Ce « brouillage » vient alors invalider l’efficience des marchés postulée par la théorie néo-classique: les prix n’indiquent plus les bons choix à faire. L’application de cette analyse aux marchés de ressources non renouvelables – second point –, tel le pétrole, ou encore les biens agricoles ou halieutiques qui deviennent non renouvelables pour cause de surexploitation, touche des sujets chauds et au coeur des discussions sur l’avenir de la planète. Sans partager toutes les analyses de l’auteur sur ces sujets, il me semble que les choix des grandes compagnies pétrolières internationales d’investir massivement dans les gaz et pétroles de schistes et autres sables bitumineux à la fin de la décennie précédente, alors que le prix du baril était au-delà de 100 dollars, relève de cet effet de brouillard. C’est par dizaines de milliards de dollars que ces compagnies ont dû dévaloriser leurs actifs dans les années qui ont suivi. Hélas, l’exploitation des gaz et pétroles de schistes a encore des conséquences écologiques désastreuses. Un livre donc très utile pour les débats sur les marchés financiers, la transition énergétique et l’avenir écologique de la planète. PEPPINO TERPOLILLI

Les Références de temps et d’espace… CLAUDE BOUCHER (DIR.) AVEC LE CONCOURS DE PASCAL WILLIS Hermann, Paris, 2017, 476 p.
Les références servent à exprimer des coordonnées d’espace et de temps de la façon la plus efficace. L’ouvrage, coordonné par Claude Boucher, président du Bureau des longitudes, et dont les contributeurs sont les meilleurs spécialistes français en la matière, offre un panorama de ces questions en les abordant sous l’angle historique, puis en en décrivant de manière très pédagogique les conceptions contemporaines, avant d’envisager les perspectives de leur évolution. La première partie présente les progrès historiques de la connaissance de la figure du monde, des mouvements de la Terre et de son orientation, de la mesure du temps et des premiers catalogues d’étoiles. La création des premiers observatoires, puis les expéditions astronomiques et géodésiques ainsi que les progrès des instruments et des horloges font progressivement apparaître l’aplatissement de la Terre aux pôles ou l’irrégularité de la durée du jour. La deuxième partie aborde la science sur laquelle reposent les notions contemporaines sur les références, dont la relativité générale forme le cadre théorique. Les horloges atomiques permettent des mesures de temps qui en valident les prédictions. Les échelles de temps sont réalisées en comparant plusieurs centaines de telles horloges. La rotation de la Terre est précisément modélisée et observée, et permet de lier le repère céleste, attaché aux quasars depuis la fin du xxe siècle, au repère terrestre, réalisé au niveau du millimètre par les techniques de la géodésie spatiale. Les références contribuent à des applications scientifiques de haute précision : tests de physique fondamentale, suivi des sondes spatiales ou satellites artificiels… Parmi ceux-ci, les satellites d’altimétrie mesurent la hausse du niveau des océans liée au changement climatique, tandis que les systèmes de navigation rendent des services quotidiens en fournissant une position en tout point de la Terre. JONATHAN CHENAL

À l’orée du cosmos ALAIN OMONT EDP Sciences, Paris, 270 p.

Il n’est, hélas, pas fréquent qu’un astrophysicien de renom publie un texte accessible à un large public. C’est le mérite d’Alain Omont d’avoir résumé les grands enjeux actuels de la cosmologie dans cet ouvrage de la collection « Une introduction à… ». Ce livre s’articule en cinq volets: 1. « La compréhension approfondie des étoiles » traite de la vie mouvementée des étoiles, notamment celles qui, comme notre Soleil, sont destinées à se transformer d’abord en géantes rouges puis en naines blanches, ou les plus massives qui finiront en supernovæ et en étoiles à neutrons, non sans avoir synthétisé en leur cœur, au cours de leur existence brûlante, tous les éléments (carbone, oxygène, métaux) qui constituent notre monde terrestre. 2. « Le nouveau monde des galaxies » décrit l’incroyable variété et l’extraordinaire multiplicité de ces vastes familles d’étoiles, ainsi que leur vie turbulente. 3. « La cosmologie, science de la globalité de l’Univers » passe en revue dans ses chapitres le fameux big bang, et l’expansion proprement vertigineuse qui s’en est suivie. 4. « Astres singuliers et cataclysmes dans des conditions extrêmes » nous parle de monstrueuses explosions des supernovae, d’étranges étoiles à neutrons, de quasars, et bien sûr des trous noirs, qui émettent des ondes gravitationnelles lorsqu’ils entrent en collision. 5. « Planètes proches et lointaines » permet de comprendre les similitudes entre nos planètes et les exoplanètes qui gravitent autour de bien d’autres étoiles. Alain Omont retrace quelques-unes des grandes étapes que les astrophysiciens ont parcourues depuis un bon siècle, les découvertes qui ont ébranlé leurs certitudes, les doutes qu’ils ont su surmonter, et les problèmes qui leur donnent encore des inquiétudes aujourd’hui, tels que la matière noire invisible dans l’Univers, sans laquelle son rythme d’expansion ne se comprendrait pas. Fascinant !  GEOFFREY BODENHAUSEN

Parlez-vous cerveau? LIONEL ET KARINE NACCACHE Odile Jacob, Paris, 2018, 215 p.
Ce livre est issu d’une série de courtes émissions radio destinées à vulgariser les connaissances en neurobiologie. Grâce à l’utilisation systématique de nouvelles technologies, dont l’IRM (imagerie par résonance magnétique), ce domaine est en rapide développement… et les médias signalent chaque jour des avancées, souvent mal décrites et peu intelligibles. Le neurologue Lionel Naccache, avec le concours de son épouse (non spécialiste), réussit à passer en revue les bases générales de cette discipline passionnante en utilisant des analogies et des descriptions facilement compréhensibles pour le non-initié. En particulier, la terminologie nécessaire est introduite et expliquée, ce qui donne son titre au livre; mais celui-ci est bien plus, c’est bel et bien une description claire, bien que sommaire, de l’état de connaissances actuelles en la matière. Bien entendu, il serait illusoire d’attendre de ce petit livre à la lecture agréable une vision précise des phénomènes neurobiologiques, souvent paradoxaux et éloignés des idées reçues. Ainsi, le fonctionnement des neurones miroirs (probablement à l’origine de l’empathie) ou « la perception est une construction » sont particulièrement intéressants. Les passages sur la conscience et la prise de conscience ont été certainement insuffisants pour dissiper mon ignorance ; en revanche, j’ai particulièrement apprécié la description du fonctionnement normal de notre cerveau, qui en recevant une information construit automatiquement un modèle du futur ou d’un éventail des futurs possibles, que la suite des événements conduit à corriger, à modifier et à affiner, tout en construisant simultanément le nouveau futur possible ; c’est ce que les auteurs traduisent par la formule « le cerveau parle au futur présent » (notre cerveau ne cesse donc pas d’anticiper ce qu’il va vivre, cela fait partie de notre condition humaine). EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA

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