Les certificats d’économies d’énergie : un exemple de l’escroquerie du capitalisme « vert », Jérémy Giono*

Présenté comme « un des principaux instruments de la politique de maîtrise de la demande énergétique », le dispositif des certificats d’économies d’énergie, alléchant en principe, facilite en fait des manoeuvres spéculatives au détriment des consommateurs : ménages, collectivités territoriales…  
*Jérémy Giono est conseiller en énergie et secrétaire de la fédération PCF de l’Isère.

RÉALISER DES ÉCONOMIES D’ÉNERGIE
Le dispositif des CEE (certificats d’économies d’énergies) a été mis en place en France en 2006, et il existe dans plusieurs pays européens. L’objectif affiché est d’inciter les fournisseurs d’énergie à générer des opérations d’économies d’énergie auprès de leurs clients, selon le principe louable de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Mais derrière ces intentions « vertes » se cache une véritable usine à gaz technocratique qui fonctionne de telle sorte que, au final, le soutien aux actions d’économies est payé par le consommateur, et qui permet à une multitude d’intermédiaires financiers de se servir au passage.

En apparence, le principe est simple: tout vendeur d’énergie (fioul, gaz, électricité…), qu’on appelle alors « obligé », est contraint par la loi de récolter un certain quota de certificats sur une période donnée, sans quoi il devra payer des pénalités financières proportionnelles à la quantité non collectée. Et pour obtenir ces certificats, il doit justifier d’actions d’économies d’énergies : rénovations, programmes de sensibilisations, etc. L’unité du CEE est le kilowattheure cumulé et actualisé (kWh cumac), qui correspond à une quantité d’énergie économisée (établie selon des formules théoriques), le gouvernement éditant un ensemble de fiches qui définissent ces calculs pour chaque type d’opération1.

Par exemple, pour l’isolation d’un mur, vous multipliez un coefficient lié au type de bâtiment et un coefficient lié à la zone climatique par la surface d’isolant posé. Pour un changement de chaudière, vous prenez en compte la surface chauffée, le type de bâtiment et la zone climatique. Et ainsi de suite.

SPÉCULATIONS ET FRAUDES
Jusque-là, tout va bien, encore que… En effet, on s’aperçoit que les choses sont bien confuses pour un particulier ou une petite entité sans connaissance du domaine. Là où les choses se compliquent, c’est que les obligés peuvent soit obtenir par eux-mêmes des certificats, soit les acheter à d’autres entités les collectant, sur l’équivalent d’un marché boursier. S’organise alors toute une communauté de sociétés financières dont le seul but est la collecte et la revente de ces certificats, le tout en vue de réaliser de juteuses plus-values spéculatives…
Et la plupart du temps il ne s’agit pas de générer effectivement de nouvelles opérations d’économies d’énergie mais de « valoriser » des opérations déjà prévues, en passant par les artisans, les chambres des métiers ou les collectivités locales. Cerise sur le gâteau, les services du ministère chargés de la délivrance de ces certificats n’étant pas épargnés par les politiques d’austérité, il a été décidé à partir de 2015 de passer d’un système d’attribution avec contrôle systématique des dossiers déposés à un système « déclaratif » avec contrôle aléatoire a posteriori.
En clair, vous déposez un dossier qu’on ne vous demande pas de justifier, mais vous pourrez faire l’objet d’un contrôle plus tard pour vérifier que vous avez bien les justificatifs. Ce changement de système a représenté une belle aubaine pour les petits malins, puisque les cas de fraudes se multiplient : Tracfin (l’organisme du ministère des Finances en charge de la lutte contre le blanchiment d’argent) estime à plusieurs millions d’euros la fraude aux CEE2 et de gros acteurs du secteur ont été mis en examen durant l’été 20183.
Enfin, on pourrait penser que le coût du dispositif soit porté par les entreprises vendeuses d’énergie, comme le laisse penser la logique apparente. Or il n’en est rien: la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), le « gendarme » du marché de l’énergie, préconise clairement d’augmenter les tarifs pour permettre aux fournisseurs d’absorber les surcoûts liés au dispositif des CEE4.
QUELQUES GAGNANTS ET DE NOMBREUX PERDANTS
Plusieurs effets collatéraux peuvent être également observés en parallèle des logiques de fond décrites plus haut.
D’un côté, c’est une aubaine pour la grande distribution – vendeuse d’énergie via ses stations essence notamment – qui peut récupérer des certificats de ses clients en échange de bons d’achat, souvent clairement sous-valorisés, et ainsi remplir une part non négligeable de ses obligations à peu de frais, sur le dos des consommateurs, tout en faisant passer ça pour un « geste commercial ».
De l’autre, des entreprises ont pu se spécialiser dans ce domaine, construisant un modèle économique « opportuniste » ciblé sur tel ou tel type de travaux, se finançant sur la récupération des CEE correspondants.
Si dans certains cas ces artisans sont tout à fait honnêtes et compétents, une part non négligeable tire les coûts vers le bas au détriment de la qualité et de la main-d’oeuvre (en faisant appel au travail détaché par exemple). L’exemple des « isolations de combles à 1 € » a donné lieu à de nombreuses plaintes pour des travaux faits à la va-vite, sans parler de cas d’escroqueries où les particuliers ont avancé l’argent sans être remboursés5.
Enfin, les collectivités sont elles aussi ciblées, en tant que maîtres d’ouvrage directs de travaux conséquents ou en tant qu’accompagnateur de particuliers, via les « plates-formes locales de rénovation énergétique » : sur fond de baisse des dotations, les spéculateurs profitent de leur méconnaissance du dispositif pour récupérer cette manne en la sous-valorisant, et les regroupements de collectivités qui essayent d’incarner une alternative 100 % publique – permettant une valorisation au prix réel du marché – doivent parfois même batailler avec des associations institutionnelles « écologiques » qui se font le relais des prestataires privés afin de toucher leur part du gâteau…
ILLUSIONS DU CAPITALISME « VERT »
Résumons.
Nous avons donc un dispositif censé favoriser les économies d’énergies qui repose, dans les faits, surtout sur la valorisation de travaux dont le coût complet est payé par les consommateurs, qui crée de formidables opportunités de fraudes et d’escroqueries et où une myriade d’acteurs financiers prennent une marge non négligeable au passage. C’est un exemple moins connu que celui des « droits à polluer », mais il est tout aussi éclairant de l’absurdité cynique, de l’inefficacité et du parasitisme du capitalisme « vert ».
Une piste de revendication alternative consisterait à remplacer tout ce système par une taxation draconienne sur les profits des spéculateurs de l’énergie, et à financer un fonds de subventions aux travaux des particuliers, collectivités et entreprises. Cela n’a rien de révolutionnaire, mais ce serait au moins bien plus efficace et transparent.
Une autre solution serait de reconstituer un pôle public de l’énergie, sous contrôle démocratique, et construire un plan pluriannuel ambitieux en termes de rénovations. Davantage révolutionnaire, mais à coup sûr indispensable pour conduire une vraie transition énergétique.

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