V Recherche et Innovation

3 % DU PIB 

V.1. La stratégie de Lisbonne fixée par le Conseil européen de mars 2000, visant à faire de l’UE « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde », prévoyait d’affecter à la recherche 3 % du PIB. Dix ans plus tard, la stratégie Europe 2020 a réaffirmé la nécessité de ces mêmes 3 %. Or la dépense intérieure de recherche et développement reste inférieure en France à 2,3 %. Quel est votre objectif en termes de R&D publique et privée et quelles mesures concrètes comptez-vous prendre ?

Derrière l’« économie de la connaissance », la stratégie de Lisbonne prétendait surtout porter l’Europe vers les sommets de la haute technologie en la délestant des secteurs industriels « traditionnels ». Et énormément d’entreprises industrielles ont depuis effectivement fermé en Europe, y compris celles de haute techno logie. La stratégie Europe 2020 a prétendu corriger cette trajectoire catastrophique en portant, censément, la haute valeur ajoutée dans les secteurs même les plus historiques, mais sept ans après cette déclaration d’intention l’indispensable « renaissance industrielle » ne semble pas près de venir. L’une des raisons est assurément à chercher dans la faiblesse de la recherche, en particulier en France, où la recherche publique voit ses moyens s’éroder tandis que la R&D proprement industrielle s’effondre. Le crédit d’impôt recherche et le monstrueux empilement inefficace et opaque de mécanismes de soutien à l’innovation tient cette R&D privée sous perfusion, mais les salariés de la recherche et de l’industrie ont sous les yeux tous les jours les gâchis et détournements de cette politique ubuesque qui n’aboutit bien souvent qu’à doper encore les bilans du CAC 40. Faut-il rappeler l’excellence passée des laboratoires de Sanofi et leur situation actuelle ? Un exemple parmi bien d’autres, mais qui en dit long.

Dans ce cadre, l’objectif de 3 % du PIB reste pertinent. La recherche publique doit retrouver les moyens d’embaucher de jeunes chercheurs et techniciens, et d’équiper correctement ses laboratoires pour que les scientifiques puissent travailler de manière libre et créative. La relation vitale entre recherche fondamentale et appliquée doit cesser de se perdre dans une foule d’instituts aux périmètres flous et ne recevant de leurs tutelles ministérielles d’autres missions que de jouer le jeu concurrentiel des appels à projets et de la course aux financements industriels étroitement court-termistes et prédateurs. Une réflexion d’ensemble sur l’organisation et les missions de la recherche technologique est à mener, et la création d’un centre national de la recherche technologique est à envisager. Enfin, quand la recherche privée ne peut pas se passer d’argent public, la moindre des choses est que les aides distribuées ne le soient que sous critères d’utilité sociale et d’orientations porteuses de progrès social et environnemental, démocratiquement définis et vérifiés au vu et au su des travailleurs, élus et citoyens, avec de véritables moyens de contrôle public et de sanction. Enfin, les financements publics doivent systématiquement être assortis de conditions sur les brevets et autres outils proches qui permettent d’assurer que les savoirs issus de l’effort public seront mis à disposition de projets industriels, et non l’objet de stratégies défensives des positions acquises ou d’un commerce international qui ne profite qu’aux multinationales.

CRÉDIT D’IMPÔT RECHERCHE

V.2. L’emploi scientifique est essentiel, dans la recherche industrielle comme dans la recherche publique. Critiqué par une partie des acteurs de la recherche publique, le CIR, qui a été maintenu par tous les gouvernements successifs, a un impact sur l’emploi dans la recherche. Quel sera votre positionnement sur le CIR et votre stratégie pour développer cet emploi ?

L’emploi scientifique est une préoccupation majeure, et il est surprenant de le voir évoqué sous l’angle du crédit d’impôt recherche. Trente-quatre ans après sa création, le crédit d’impôt recherche est le plus coûteux des dispositifs de soutien à l’innovation en France, alors que son impact est plus que discutable. Si le patronat ne manque pas de se féliciter de ce dispositif, ce qui marque est surtout son opacité, et le rapport de la Cour des comptes sur le CIR a établi que son impact est « difficile à établir », pour une gestion ne permettant pas d’éviter les « usages frauduleux », tandis que la censure du travail de la commission d’enquête parlementaire rapportée par Brigitte Gonthier-Morin a montré l’évident problème démocratique associé à ce dispositif. Pour le Parti communiste, le CIR devrait être a minima réservé aux PME, comme il l’était jusqu’à la présidence de Nicolas Sarkozy, voire complètement supprimé.

Cela n’épuise pas la question de l’emploi scientifique, qui est autant une question de volume d’emploi que de qualité, de rémunération et de stabilité de ces emplois. Les financements publics indirects tels que le CIR et les financements sur projet tendent à engager des moyens considérables ne permettant souvent que des embauches précaires dans les laboratoires, avec toute l’inefficacité qu’entraîne le fait de devoir sans cesse relancer recrutements et formation. Parce qu’elle engage l’avenir à long terme de la nation et de l’humanité et parce que son objet est l’élargissement et la transmission des savoirs au fil des générations, la recherche doit bien au contraire s’appuyer sur une programmation pluriannuelle des recrutements, tant en ce qui concerne les chercheurs et enseignants-chercheurs que les techniciens et fonctions support. 

FINANCEMENT SUR PROJET 

V.3.La recherche est le moteur de l’innovation, elle-même source de l’essor économique indispensable à notre pays. Un juste équilibre entre le soutien à la recherche fondamentale, dont le moteur principal est la curiosité, qui nécessite une prise de risque et des efforts de long terme, et le soutien à la recherche appliquée, orientée vers des objectifs économiques et sociétaux de plus court terme, est nécessaire. Quelle doit être selon vous l’importance donnée aux divers moyens de financement sur projets, tels l’Agence nationale de la recherche, vis-à-vis du soutien de base des laboratoires publics et des financements à plus long terme comme le plan d’investissement d’avenir, les structures nouvelles (idex, labex…) ?

Il s’agit d’abord de préciser que pour les communistes l’innovation n’a de sens que si elle est au service du progrès social, de la réponse aux défis, notamment environnementaux, auxquels l’humanité est confrontée, au service de la paix et de la démocratie aussi. Il ne saurait s’agir, comme le suggère la première phrase de la question, de soutenir l’innovation pour le seul ou principal but de faire de la recherche une activité économiquement rentable comme les autres.

Cela posé, il faut dénoncer l’incompréhensible empilement de dispositifs alors que les établissements de recherche et d’enseignement ont d’autres embauches à faire que celle de spécialistes en guichets de financement ! Les dispositifs type IRT (instituts de recherche technologique) ou SATT (sociétés d’accélération de transfert de technologies), qui prétendent consommer un capital de départ – ce qu’ils font assez aisément, notamment grâce aux salaires souvent très confortables de leurs dirigeants, très loin de ceux des personnels de recherche – puis au bout de quelques années devenir financièrement autonomes, sont notoirement irréalistes. Sans parler de l’ineptie qui consiste, pour créer des ponts entre la recherche et l’industrie, à créer ces acteurs intermédiaires qui ne font qu’épaissir les cloisonnements.

Il faut comprendre surtout qu’au nom de l’excellence scientifique les financements sur projets engagent des efforts de montage de dossier considérables avec des taux de succès très faibles. Sur les projets européens ou ceux de l’Agence nationale de la recherche, on est en moyenne bien en deçà de 15 % de succès, ce qui signifie qu’au lieu de faire leur métier de chercheur les scientifiques montent sept dossiers de projets pour n’en voir qu’un seul financé. Le gâchis est considérable.

Il y a place pour un financement par projets quand il s’agit de grands projets, dans lesquels le temps administratif incompressible ne doit pas étouffer le temps de recherche. Mais sur la plupart des sujets seuls les financements récurrents peuvent garantir efficacité et liberté de la recherche, gage de créativité. D’autant que l’impossibilité de prévoir les succès fait qu’emporter un projet ANR ou Horizon 2020 peut s’avérer être un cadeau empoisonné pour un petit laboratoire.

Enfin, concernant les idex et labex, il doit être clair que l’excellence ne peut être qu’un objectif constant de la recherche comme de l’enseignement ou de la production industrielle, certainement pas une marque déposée ni un argument de vente sujet à toutes les manipulations. Et moins encore un moyen d’éviter les procédures démocratiques qui sont encore celles du service public ! 

RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES

V.4. Comprendre les transformations induites par l’économie numérique exige une réflexion sur le devenir de nos sociétés. Quelle place envisagez-vous pour la recherche en sciences sociales ?

Les sciences humaines et sociales constituent un champ de connaissance qui a vocation à se développer en soi, indépendamment des autres disciplines et dans le contexte difficile de nos sociétés. Bien au-delà des réductrices « transformations induites par l’économie numérique », l’apport de ce champ de connaissance est plus que jamais essentiel. On le voit dans un certain nombre des sujets abordés plus haut dans ce questionnaire : comment combattre un certain nombre de peurs et résistances trop peu rationnelles si ce n’est en se donnant les moyens de déployer de solides méthodes d’analyse scientifique pour les comprendre ?

Dans un paysage médiatique et intellectuel dominé par le pulsionnel et l’immédiat, la sociologie demeure un sport de combat, et l’histoire – en particulier la trop ignorée histoire des sciences – demeure un enjeu essentiel de la formation des citoyens de la République. Toutes les sciences humaines et sociales ont un rôle essentiel à jouer pour éclairer les changements de notre époque et la prise de décision politique démocratique, et notamment pour discerner ce qui dans l’innovation peut constituer ou non un progrès et devrait à ce titre être soutenu ou, au contraire, prévenu.

Malgré cela, la difficulté à leur faire porter des sujets en prise directe avec les intérêts économiques fait que ces disciplines souffrent encore plus que les sciences de la nature des baisses de crédits et de la course imposée aux moyens extérieurs. Sauf à être, comme trop souvent l’économie, au service direct des intérêts dominants. Les universités et le CNRS assurent une certaine indépendance aux chercheurs de ces disciplines, mais la pression est aussi forte qu’inutile, voire destructrice. En témoigne le libellé de la présente question, qui voudrait tendre à réduire la question des sciences humaines et sociales à l’adaptation de la société aux exigences de l’économie numérique.

Les communistes défendent donc une revalorisation forte de ces disciplines et des crédits nécessaires au travail serein des chercheurs et enseignants dans ce domaine, indépendamment de leur utilité économique directe. L’Humanité et la presse communiste font une place plus importante que la plupart des autres médias aux sciences, et en particulier aux sciences humaines et sociales, mais il apparaît très clairement qu’en termes de partage des résultats de la recherche et de transmission de la culture scientifique un plan d’action publique d’ampleur est à déployer qui impliquerait au moins l’éducation nationale, l’enseignement supérieur et la recherche, la communication et la culture, l’audiovisuel public, un organisme national dédié à l’information scientifique et technique et les collectivités locales.


ATTRACTIVITÉ

V.5. Divers indicateurs montrent que les conditions actuelles ne permettent plus d’attirer ou de stabiliser dans les carrières de recherche les jeunes les plus brillants. Beaucoup se détournent des filières scientifiques majeures qui attiraient souvent autrefois les meilleurs. Quant à la jeunesse la plus qualifiée de France, formée par la recherche à l’issue d’un doctorat, ceux qui ambitionnent de faire carrière dans la recherche publique devront attendre de nombreuses années post-doctorales, et se contenter, s’ils réussissent les difficiles concours, d’un salaire non compétitif à l’échelle européenne ou se résoudre à un exil souvent sans retour. Quelles mesures comptez-vous prendre pour assurer le renouvellement des générations qui permettrait de maintenir la France au rang de grande nation scientifique qu’elle doit ambitionner?

La recherche française demeure attractive, en témoigne le nombre de scientifiques venus de monde entier mener leurs recherches en France. L’image d’excellence de la recherche française tout autant qu’un statut garantissant encore une grande liberté de recherche, en particulier à l’égard des intérêts économiques, sont les clés de cette capacité d’attraction.

Toutefois, il est indéniable que l’attraction de l’étranger, pas seulement d’ailleurs des États-Unis, prend sur les jeunes formés en France des proportions qui peuvent inquiéter. Les causes en sont multiples, certaines propres à la recherche, d’autres plus partagées. Parmi ces dernières, le gel du point d’indice des fonctionnaires et l’érosion des salaires qui en résulte depuis des années, tandis que les postes de dépenses tels que le logement dans les métropoles où se concentre de plus en plus l’activité de recherche ne cessent de monter et en arrivent à poser un véritable problème pour les jeunes chercheurs. À quoi s’ajoute la difficulté croissante de trouver des postes, en particulier des postes stables et à responsabilité, sans lesquels il ne saurait y avoir d’investissement réel et épanouissant pour le personnel de la recherche : chercheurs, enseignants- chercheurs et techniciens. Sans lesquels le renouvellement des générations indispensable à la transmission des savoirs et au maintien du niveau scientifique et technique du pays n’est pas assuré.

Le mauvais palliatif de la redirection des jeunes diplômés vers le business, l’entrepreneuriat et les start-up est idéologique et inutile, il ne mène qu’à l’échec du plus grand nombre au nom du succès financier d’une petite minorité – souvent d’ailleurs la mieux dotée en termes de capital social – et représente à ce titre un terrible gâchis pour la France, qui livre aux investisseurs le meilleur de la jeunesse qu’elle a fait l’effort de former. Pour les communistes, au contraire, il s’agit de comprendre que des chercheurs en nombre suffisants, bien payés et travaillant dans des laboratoires bien équipés sont le meilleur des investissements d’avenir.

VISAS SCIENTIFIQUES

V.6. Prévoyez-vous de faciliter l’accueil en France des scientifiques étrangers de niveau doctoral et post-doctoral et de quelle manière? Pensez-vous qu’il soit souhaitable de diminuer, conserver à l’identique ou étendre la durée de validité du visa scientifique attribué à un chercheur étranger dans le cadre d’un contrat de travail en France? Et de manière plus générale comment pensez- vous faire évoluer ce dispositif ?

L’enseignement et la recherche s’enrichissent de l’ouverture internationale, et l’accueil de scientifiques étrangers est un honneur et une chance pour la France. Mais pour autant il semble qu’il est temps de revisiter la politique de visas scientifiques française, de l’étendre et même d’envisager des aides matérielles à l’installation de ces chercheurs.

Cette ouverture doit toutefois s’inscrire dans le cadre plus global d’une politique internationale de coopération et de co-développement, en particulier avec les pays africains et francophones, en évitant l’écueil du pillage des cerveaux.

PRINCIPE DE PRÉCAUTION 

V.7. Le principe de précaution est inscrit dans la Constitution, et de nombreux jugements récents de tribunaux administratifs y font référence. Quelle est votre appréciation générale de l’application de ce principe ?

Le principe de précaution est, comme principe, une bonne chose, et son inscription dans la Constitution a été appuyée par nos parlementaires. L’expérience a montré que dans le jeu de la concurrence les entreprises pour devancer leurs concurrentes et maximiser leurs taux de profits n’hésitent pas à minimiser les essais sur les conséquences de leurs produits. Il s’agirait au contraire d’éviter que le lancement hasardeux de produits ou de technologies n’entraîne des effets dangereux pour l’homme ou la biodiversité.

L’invocation fréquemment abusive, parfois sciemment, de ce principe dans les débats de société peut bloquer de fait toute innovation, recherche ou développement d’une technologie prometteuse ou nécessaire, confinant à l’irrationalisme et à l’obscurantisme, et interdisant une réelle délibération démocratique sur l’appréciation et l’acceptabilité d’un risque.

Notre volonté est de dépasser cette contradiction en conjuguant approche rationnelle, confiance en la science et les scientifiques, et démocratie. La recherche doit pouvoir se déployer – avec prudence quand c’est nécessaire mais pleinement – et l’évaluation de ses résultats doit être menée toujours par une pluralité de laboratoires croisant leurs résultats, et l’ensemble mis en débat dans la transparence complète, ce qui implique une pleine maîtrise publique. La décision doit alors être prise au niveau politique, non sans avoir consulté des collèges pluralistes reflétant la diversité des associations et syndicats, voire, pour les sujets les plus importants, engager des consultations publiques. 

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