Obligations vertes et COP 23 : cherchez l’erreur !, Jean-Claude Cheinet*

La COP23 met en évidence les retards pris… Voici enfin de quoi financer une croissance verte et la transition énergétique ? L’État français a lancé sur le marché il y a quelques mois des obligations « vertes », lancement dont le succès augure d’un bel avenir pour cette formule et de marges de manœuvre non négligeables pour investir en grand.

*Jean Claude Cheinet est membre de la commission Ecologie du CN du PCF.


CÔTÉ PILE : UN OUTIL POUR FINANCER LA TRANSITION ÉNERGETIQUE

Le lancement par l’État d’un emprunt sous forme d’obligations a été un franc succès : 7 Md€ placés rapidement, c’est au-delà de toutes ses espérances.

Les obligations « vertes » ne sont pas nouvelles dans le monde ; elles sont un aspect particulier des green bonds, ces placements dont la vocation est de financer des projets favorables à l’environnement. Lancées en 2007, notamment par la BEI, pour un montant de 600 M€, elles ont pris leur essor avec la COP21, qui les a mises en avant. Sur le plan mondial, celles émises en France n’en représentent que 3 % environ, contre près de 33 % pour la Chine. En France, des collectivités (Île-de-France, Hauts-de-France [Nord-Pas-de-Calais], PACA) ou des entreprises et des banques (EDF, Engie, HSBC, BNP, AXA…) ont déjà émis de telles obligations. Mais dans ce cas précis il s’agit d’un emprunt réalisé par l’État et promu personnellement par des ministres. Le fait nouveau réside dans la rapidité avec laquelle il a été couvert et l’importance des sommes levées auprès des investisseurs européens. Et il semble que ce succès ouvre la voie à d’autres initiatives tapageuses et à d’autres États qui hésitaient.

De l’espoir donc pour des projets d’équipements à financer, lesquels s’élèveraient déjà à plus de 12 Md€ et pourraient dépasser les 20 Md€. La transition énergétique telle que définie dans la loi du même nom va donc pouvoir avancer en France. L’image d’investisseurs « vertueux » et se dévouant pour la société est une telle publicité que ces investisseurs demandent, chose extraordinaire, que leurs noms soient rendus publics (il semble que ce sera chose faite prochainement).

La finance se serait-elle convertie à l’écologie ?

CÔTÉ PILE, UNE AFFAIRE PROFITABLE… ET CÔTÉ FACE ?

Conversion intéressée : les taux d’intérêts garantis par l’État sont supérieurs aux taux courants des obligations (1,74 %, contre un rendement usuel de 1,5 ou 1,6 %, donc des intérêts supérieurs perçus) et surtout la durée en est de 22 ans, soit 3 ans de plus que d’autres, ce qui facilitera les renégociations de ces titres en Bourse en espérant ainsi une cote en hausse et des bénéfices à la clef lors de leur placement dans le public. Un placement de long terme et sûr, une bonne affaire en somme.

« Vertes », les obligations ? La définition des obligations vertes est très floue, et les critères pour déterminer le caractère « vert » des actions menées le sont encore plus. Ce manque de transparence fait naître le soupçon d’écoblanchiment (de greenwashing, si on veut faire « moderne ») pour redorer une façade dont l’arrière est peu recommandable.

Ces fonds doivent donc, en principe, aller au développement des énergies renouvelables (EnR) et au développement de l’efficacité énergétique, c’est-à-dire servir à la transition énergétique au sens que lui donne la loi du même nom. Or on a bien vu que le développement de transports hors énergies fossiles (fret ferroviaire, fluvial…) et que le solaire thermique (chaleur du soleil) ne sont pas, tant s’en faut, prioritaires ; on a constaté aussi que les programmes d’isolation des logements sont difficiles à mettre en œuvre. Ce sera donc vers le développement de l’éolien et du solaire photovoltaïque qu’iront ces investissements. Mais on sait que pour compenser l’absence de vent ou de soleil la nuit ces énergies intermittentes doivent être couplées avec du thermique à flamme (pétrole ou charbon) et à gaz (GCC), émetteur de gaz à effets de serre. Ne voit-on pas des banques afficher leur volonté d’investissements « responsables » et financer directement ou par des filiales des projets de centrales électriques à charbon ?

Et les États ne font guère mieux. Les atermoiements et le flou de la mise en place d’une taxe carbone claire ou les reculs du gouvernement devant la fronde des « bonnets rouges » au sujet de l’écotaxe visant les poids lourds et le fret routier montrent, simple euphémisme, l’irrésolution du gouvernement. Contournant la difficulté de s’attaquer aux questions de fond et aux intérêts financiers, le gouvernement ne sait se donner une image énergique qu’en culpabilisant les citoyens victimes. Il n’est qu’à voir la façon dont, en cas de pic de pollution, seuls sont visés les automobilistes ou encore les privilèges dont jouissent les sociétés ayant trusté les autoroutes privatisées pour comprendre que ces investissements n’auront rien de volontariste mais iront dans le sens des intérêts de la finance et seront abondés par des aides financières de l’État. Avec des profits augmentés d’autant.

DOUBLE PEINE POUR LE CITOYEN CONSOMMATEUR

D’un côté on espère des profits. Mais qui paye ? Lorsque l’État emprunte et verse des intérêts (avant de devoir rembourser…), ceux-ci, au titre du service de la dette, sont inscrits de façon prioritaire au budget général de l’État. Les fonds viennent donc de nos impôts. Ainsi, in fine, et première peine, ce sont les citoyens qui vont payer pour les intérêts versés généreusement aux investisseurs. L’affaire pourrait à la limite se concevoir pour encourager, comme par le passé, le démarrage d’une filière industrielle et s’il s’agissait d’investissements visiblement utiles pour tous, transparents et sur une durée très limitée. Or il s’agit d’un produit financier assez classique rendu plus acceptable par sa « peinture verte » mis en œuvre aux dépens des contribuables.

Mais l’électricité éolienne ou photovoltaïque est déjà surpayée à travers le système de l’obligation d’achat faite à EDF de cette production électrique intermittente, et cela à un tarif supérieur à celui du marché et du coût de l’électricité produite par EDF selon les technologies traditionnelles. Comme ce surcoût est partiellement remboursé à EDF via la CSPE (contribution au service public de l’électricité) imposée sous forme de la taxe, dont chacun peut mesurer l’importance sur sa facture, c’est bien le citoyen consommateur qui paye déjà : seconde peine !

Au passage, les firmes installant les équipements ou produisant de l’électricité photovoltaïque ou éolienne sont liées aux banques qui investissent en obligations vertes et perçoivent les intérêts de la dette. Tout ce beau monde se retrouve pour réaliser des profits sur le dos des citoyens consommateurs et aspire à accroître ce gâteau.

LE CAPITALISME « VERT » RÉVELATEUR D’UNE NOUVELLE ÉTAPE

La vertu écologique n’est en l’occurrence qu’une façade à la limite de l’arnaque ; mais elle est permise par la complicité de l’État, qu’il soit ultralibéral ou social-libéral. Elle accompagne et facilite une mutation de notre société.

Il fut une période durant laquelle (capitalisme monopoliste d’État) l’État facilitait la réalisation de profits privés par les grandes sociétés. Mais cela dans une perspective d’aménagement du territoire pour l’équiper, pour développer l’appareil productif, avec des travaux générateurs d’emplois. Au final, certaines des retombées étaient quand même positives pour la population.

Nous sommes, me semble-t-il, dans une nouvelle phase, où la réalisation de profits spéculatifs à travers des processus strictement financiers prend le pas sur le développement de la production et du pays. Ne doit-on pas y voir une des racines du déclin industriel de la France ? Et de nombreux aspects de ce capitalisme « vert » ne sont qu’une façon nouvelle d’accentuer le pillage des potentiels du pays et de le faire accepter au nom de l’écologisme.

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