Service public ferroviaire de qualité et grande vitesse: l’exemple Marseille-Nice, Alain Patouillard*

De longue date, l’homme a cherché à se déplacer, à aller au-delà de l’horizon. De tout temps, il a cherché à aller voir de plus en plus loin, de plus en plus vite. L’évolution du transport par le train, par l’automobile et par l’avion depuis un siècle et demi en témoigne, avec une recherche permanente de la performance.

*ALAIN PATOUILLARD est un animateur du MNLE, réseau Homme & Nature, et président de l’association TGV Développement Var Nice Côte d’Azur.



LA CONCURRENCE DES DIFFÉRENTS MODES DE MOBILITÉ
Pour l’automobile, après la course à la puissance, à la vitesse et au confort des voitures, ce fut la construction d’autoroutes. Pour l’avion, ce fut le passage des moteurs à explosion aux moteurs à réaction et la construction d’aéroports de plus en plus grands. Pour le train, ce furent les augmentations de puissance, et donc de vitesse, des locomotives à vapeur, puis l’apparition des machines de traction Diesel et électriques, et la construction de lignes à grande vitesse. À chaque progrès, le nombre de déplacements a considérablement augmenté, que ce soit en voiture particulière ou par transport collectif, avion ou train.

C’est ainsi que, il y a une cinquantaine d’années, les développements rapides du mode routier et, surtout, du mode aérien ont contribué à mettre en difficulté le mode ferroviaire, qui certes modernisait ses véhicules mais restait handicapé par la vitesse maximale de circulation autorisée sur des lignes construites pour la plupart au XIXe siècle. C’est dans ces conditions que quelques ingénieurs visionnaires de la SNCF ont imaginé que la survie du transport ferroviaire en France ne pouvait passer que par un « saut de performance » ; ils ont vu que les connaissances technologiques permettaient d’atteindre l’objectif de rouler à 250 km/h, voire plus. Il s’est avéré nécessaire pour cela de construire de nouvelles lignes, ce qui allait permettre non seulement de relier les villes plus rapidement pour les voyageurs, mais aussi de dégager de la capacité sur les lignes classiques pour les trains de fret et les trains du quotidien. Sans ces nouvelles lignes, le ferroviaire n’aurait pu évoluer et devenir un service public de qualité.

ARRIVA ENFIN LE TGV
À long terme, les lignes nouvelles se sont avérées des atouts majeurs pour le développement et le dynamisme socio-économique régional en améliorant les relations interrégionales, en augmentant la fréquence des manifestations professionnelles, touristiques et culturelles, et en permettant la modernisation des quartiers de centre-ville pour accueillir les TGV, mais aussi en assurant une possibilité d’augmentation importante des TER sur les lignes classiques, plus proches des habitants, pour leurs déplacements au quotidien, que ce soit pour se rendre au travail ou à l’école, ou encore pour se promener.

Le choix de la première ligne à grande vitesse ferroviaire s’est tout naturellement porté sur la liaison Paris-Lyon, car elle répondait à tous les critères de performance souhaitables.

Il y a près de cinquante ans, quasi simultanément le Japon et la France se sont lancés dans le développement de la grande vitesse ferroviaire, ces pays ayant opté pour des concepts qui leur étaient propres en raison des caractéristiques techniques, géographiques, économiques, culturelles, sociales… qui leur sont propres.

Le choix des Japonais se porta sur un système en site propre, avec un système d’exploitation propre. Ils ont largement privilégié une pose de voie dite « directe », c’est-à-dire sans ballast, et également un gabarit élargi, qui présente l’avantage d’augmenter le nombre de places offertes dans les rames, mais l’inconvénient de ne pas permettre à ces rames de circuler sur le réseau classique. Les raisons de ces choix sont largement exposées dans la littérature spécialisée.

En France, la SNCF a opté pour un train apte à circuler tant sur les voies nouvelles que sur les lignes classiques. Le matériel roulant à « grande vitesse » (rames TGV) est donc au même gabarit que le matériel roulant à vitesse « classique ». Ce système présente le grand intérêt de limiter le nombre de ruptures de charge qu’un voyageur subira, en permettant aux TGV d’entrer dans les gares de centre ville sur le réseau classique. Du fait de la compatibilité des TGV avec les lignes classiques, de nombreuses gares de centres villes (Paris, Dijon, Lyon, Marseille, Lille, Bordeaux, Montpellier, Toulon, Nantes, Rennes…) et hors des villes (Montchanin, Valence, Avignon, Aix, Meuse, Lorraine, Champagne-Ardenne…) ont ainsi pu être desservies.

À noter que ces deux familles de gares se justifient par la même considération, à savoir permettre au plus grand nombre d’usagers de parvenir rapidement jusqu’au quai.

POLITIQUES PUBLIQUES ENVERS LE FER ET LA ROUTE
Alors que les routes et autoroutes étaient construites et entretenues par l’État, celui-ci obligea la SNCF à réaliser tous les investissements afférents à la grande vitesse sur ses fonds propres, entraînant de fait un endettement colossal qui, à la différence de l’exemple allemand, n’a pas été repris par l’État, même partiellement. Une des conséquences a été que la SNCF, à laquelle l’État demandait aussi d’être une entreprise rentable, n’a pas réalisé toutes les modernisations nécessaires des lignes existantes, ni même assuré la maintenance de certaines lignes, entraînant leur fermeture au profit de la route. Cette politique aboutit à une saturation des lignes existantes et à beaucoup plus de voitures et de camions sur les routes, d’où un degré de pollution catastrophique que les travaux de la COP21 n’ont même pas évoqué. La dernière étude environnementale réalisée en France (2016) est alarmante. En effet, la pollution tue dans notre pays 48 000 personnes par an à cause des particules fines, dont plus de 30% sont émises par la route. Cela se traduit également par la diminution de l’espérance de vie pour un adulte de 15 mois en ville et de 9 mois zone rurale. L’Agence nationale de santé publique précise que cette pollution est en France la troisième cause de mortalité, après le tabac et l’alcool. Aux États-Unis, une autre étude récente réalisée à proximité d’une autoroute démontre un nombre important de problèmes cardiaques qui affectent les enfants.

UNE LGV EN PACA
Une enquête sur les déplacements des actifs réalisée par l’Ifop pour SNCF Réseau sur la région Provence-Alpes-Côte d’Azur montre qu’un actif sur deux est exaspéré par les problèmes de circulation qui impactent leur vie professionnelle, mais aussi personnelle. Environ 60 % des personnes interrogées estiment que les conditions de circulation se sont dégradées au cours des dernières années et que la situation va encore se dégrader dans les cinq années à venir si rien n’est fait d’ici là. Près de 50 % de ces personnes pensent qu’il y a des réponses efficaces possibles, notamment par l’accroissement et l’amélioration des réseaux de transport en commun, ferroviaire en particulier.

Il est évident que nous ne pouvons continuer à empoisonner les habitants de Provence-Alpes- Côte d’Azur en favorisant tout ce qui est routier. Il n’est plus possible de rajouter un nombre incalculable de camions sur les routes, de remplacer certaines lignes ferroviaires par des bus, comme voudrait le faire la nouvelle direction du conseil régional PACA, de favoriser l’emploi de la voiture alors que tout le monde reconnaît que le ferroviaire est le moyen de transport collectif le plus propre. Mais il est non moins évident que le nécessaire changement dans ce domaine demandera des investissements importants, sans attendre 2050 pour permettre d’abord un développement des trains au quotidien. Ce développement, tout le monde le reconnaît, nécessitera des infrastructures complémentaires comme le projet de la nouvelle LGV PACA, qui s’est transformé au fil des années en un projet de LNPCA (ligne nouvelle Provence-Côte d’Azur). Cette réalisation est urgente et elle est possible, ce n’est qu’une question de volonté politique et de financement ; d’ailleurs de l’argent il y en a, il suffit de le prendre là où il est (ce qu’ont très bien compris nos voisins suisses). Elle est également incontournable pour que le transport de fret puisse se faire à nouveau par le rail, car il sera impossible de faire circuler tous les trains roulant à des vitesses différentes et avec des arrêts différents sur une même installation construite au XIXe siècle, même modernisée.

LA LONGUE MARCHE D’UN AMÉNAGEMENT NÉCESSAIRE
Au début des années 2000, de nombreux habitants de PACA avaient demandé à Gérard Piel, alors vice-président, communiste, chargé des transports sur la région, de bien vouloir remettre au goût du jour la ligne à grande vitesse entre Marseille et Nice, projet qui avait été abandonné vingt ans plus tôt à la suite d’interventions purement démagogiques de certains élus varois. Jean-Claude Gayssot, alors ministre des Transports, en accepta le principe. En 2005 eut lieu le débat public obligatoire pour ce type d’investissement, ce débat fit ressortir l’absolue nécessité d’un tel investissement. Et après de multiples atermoiements et une ultime concertation en 2016, un projet a été retenu, qui a eu un accord ministériel en avril 2017.

Ce projet est a minima, compte tenu de l’austérité ambiante; il se caractérise notamment par :
– l’amélioration du nœud ferroviaire marseillais avec une gare souterraine TGV à Marseille- Saint-Charles et un doublement des voies existantes jusqu’à Aubagne, avant 2030 ;
– l’amélioration du nœud ferroviaire niçois entre Nice-Saint- Augustin et la ligne de Cannes à Grasse, avec amélioration de cette ligne afin que les TGV puissent revenir sur la ligne ancienne, et cela avant 2030 ;
– pour le reste, entre Aubagne et Toulon et entre Le Muy et la ligne Cannes-Grasse, le projet est reporté après 2030 ; – pour Toulon-Le Muy, le projet est repoussé après 2050.

Le dossier avance, certes, mais cet étalement dans le temps n’est pas acceptable si l’on veut ne serait-ce qu’appliquer le peu de propositions retenues lors de la COP21.

Pour toutes les raisons évoquées, nous considérons que le mode ferroviaire garde toute sa pertinence pour opérer le rééquilibrage entre les modes de transports au bénéfice des plus vertueux, et qu’il est un outil moderne incontournable pour engager le changement de notre mode de développement et de croissance que la situation exige. Et nous soutenons ce que nous appelons un « pacte de progrès pour un service public ferroviaire de qualité ».

Une réflexion sur “Service public ferroviaire de qualité et grande vitesse: l’exemple Marseille-Nice, Alain Patouillard*

  1. Très intéressant. Je vais envoyer l’article à mon fils qui travaille à l’UIC. Il traite de ces problématiques, mais à l’échelle supranationale.

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