Pour la paix!, Philippe Rio*

*Philippe Rio, maire de Grigny et président de l’AFCDRP Maires pour la paix France depuis 2014, de retour de son voyage au Japon pour les commémorations des bombardements nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki, avait introduit le traditionnel repas de notre revue. Ci-dessous la retranscription de son discours.


Chers amis, chers camarades, Le 6 août dernier, le Japon commémorait au Mémorial de la paix d’Hiroshima le largage de la première bombe atomique sur la ville, en 1945, il y a soixante-douze ans. Des dizaines de milliers de personnes, unies dans le souvenir, intériorisent chacun à leur manière l’horreur atomique. Beaucoup pensent à cette ville en ruine et à son dôme, au désastre humain sans précédent, au champignon nucléaire causé par « Little Boy », aux effets des radiations sur la santé ou sur l’écologie, d’autres pensent aussi à la vie, simplement, et certainement aussi aux hibakushas, « les irradiés », littéralement les survivants de la bombe atomique d’Hiroshima et de Nagasaki. Les hibakushas sont les survivants de cet holocauste atomique. Ce sont les survivants d’une autre solution finale. Ils et elles sont moins de deux cents et ont une moyenne d’âge de 81 ans. Si comparaison n’est pas raison, force est de constater des parcours communs de vie. Victimes les uns et les autres, d’abord du déni reposant sur l’incompréhension face à une horreur encore inconnue. Ensuite, victimes d’une relégation sociale et mémorielle, voire discriminés lorsque la page de l’après-guerre doit être vite tournée. Ils et elles ont, par leur détermination, sans cesse oeuvré à être des passeurs de mémoire. Des témoins dotés d’une force de vie remarquable.

En témoigne Mme Satsuko Matsuo, onze ans le 9 août 1945. Seule survivante d’une famille de sept personnes. Elle décrit la lumière blanche, le boum, la pluie noire, les brûlures, l’inconnu des effets de la radiation, les cultures devenues des terrains nus. Pour finir, elle dit avec force : « Je ne veux plus voir cela. Il ne faut jamais recommencer la guerre. L’arme nucléaire est l’arme du diable. » Venus de la société civile, d’ONG comme Maires pour la paix France, représentants gouvernementaux…, toutes et tous écouteront la déclaration de la paix du maire d’Hiroshima, l’appel de la jeunesse ou encore la chanson de la paix d’Hiroshima, avec espoir et conscients de la fragilité de ce monde. Mais tout cela est-il encore d’actualité ? Ce pacifisme mémoriel n’est-il pas dépassé ? La menace nucléaire est une réalité bien concrète, citons la Corée du Nord non loin de là. C’est la sécurité internationale qui est menacée, et la vie sur Terre. L’arsenal nucléaire peut détruire notre humanité. Mieux vaut en être conscient !

Après les armes biologiques (1972), les armes chimiques (1992), les mines antipersonnel (1999), les bombes à sous-munitions (2010), le monde s’est doté d’un droit nouveau en matière de sécurité internationale et de survie de son espèce. L’arme nucléaire est, en droit, une arme de destruction massive illégale. Pour la plus dévastatrice des armes, cela semble d’une logique implacable. Fallait-il encore convaincre ? C’est aujourd’hui chose faite. Soyons clairs, l’actualité, la course à l’armement militaire ou les discours belliqueux n’écartent pas la menace nucléaire. Mais un cap est franchi. En effet, le 7 juillet dernier, c’est de l’ONU qu’est venue la bonne nouvelle avec le vote sans appel pour un traité d’interdiction des armes nucléaires : 122 voix pour, 1 abstention (Singapour), 1 contre (Pays-Bas). Sans surprise, les huit puissances nucléaires ont marqué par leur absence. La France allant même déclarer par les Affaires étrangères : « Ce texte est inadapté au contexte international. » Dorénavant, elle devra – à l’instar des autres puissances nucléaires – s’expliquer sur sa contradiction nouvelle avec le respect de la Charte des Nations unies prônant un « monde de paix et de justice fondé sur le droit » et le traité.

Soulignons le rôle joué par le comité d’animation d’ICAN France. Cette campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires lancée en 2007 a pris une part significative dans ce résultat. Présent dans 95 pays, ICAN, c’est 424 ONG, dont Maires pour la paix, qui ont sans relâche, avec méthode, volontarisme et argumentation, mené et mènent une campagne de proximité pour la sécurité de tous. Loin d’être un débat d’experts des relations internationales, de la sécurité ou du droit, ce traité est pleinement au coeur des enjeux contemporains : la reconnaissance des conséquences humanitaires catastrophiques de tout conflit armé, la contradiction avec le droit international humanitaire, l’importance de l’éducation à la paix et au désarmement ou encore l’impact sur le transit lié aux armes nucléaires dans l’espace aérien comme sur les mers. C’est aussi l’engagement pour les pays détenteurs de remettre en état l’environnement des zones affectées. Nul n’empêche la France de ratifier ce traité pour s’engager vers la suppression de son arsenal. Avec une dépense nucléaire de 7 milliards par an prévue à partir de 2020, le combat n’est pas gagné. Nous connaissons toutes et tous les faiblesses des traités, mais la force principale de ce dernier texte réside maintenant dans son existence juridique reconnaissant la sécurité internationale comme un bien commun de l’humanité.

« L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde », nous disait Nelson Mandela… L’éducation à la culture de paix, ajouterions-nous. Voilà également le principe unanimement approuvé lors du plan d’action « Une paix mondiale durable » (2017-2020) de la 9e conférence de Maires pour la paix, qui s’est réunie à Nagasaki du 8 au 10 août 2017. Ainsi, nous affirmons que l’éducation à la culture de paix est un outil du développement local et un vecteur de paix et de sécurité internationale. Nous voulons promouvoir une mobilisation pour le désarmement général, et nucléaire en particulier. Cela repose donc sur le principe bien connu du « penser global et agir local ».

Quels pouvoirs peuvent avoir les villes et les villages dans un monde de guerre, menacé par l’arme nucléaire, le retour des armes chimiques ou encore le terrorisme ? Pis, nous savons que la folle course aux armements alimente les conflits, les trafics et le terrorisme. Avec un réseau de 7 417 villes dans 162 pays, l’organisation Maires pour la paix affirme que les autorités locales sont au plus près des citoyens pour mener des actions concrètes. Cet ambitieux plan d’action repose sur deux objectifs à atteindre : d’abord, la réalisation d’un monde sans armes nucléaires, sans exclure la fin des autres armes ; ensuite, et c’est une nouveauté notable, parvenir à des villes sûres et résilientes. Cet objectif fait suite aux menaces protéiformes de violences vécues dans nos villes, comme le terrorisme. Cela concerne aussi la question du traitement humain des réfugiés. Villes martyres, villes mémoire, villes prônant la tolérance et le bien-vivre-ensemble… Il y a de la place pour tous.

Ensemble, soyons convaincus de notre responsabilité et de notre force communes. Cessons enfin d’opposer les guerres et leurs armes, les conflits et les violences. Notre intelligence collective doit nous conduire à mieux penser globalement pour mieux agir localement. Rappelons-nous le poète Tōge Sankichi, lui-même survivant : « Tant que je suis au monde/En ce monde d’humains/ Qu’on me rende la paix/La paix qui ne peut se détruire. »

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