Nouvelles ruralités, une question d’avenir, André Cheinet*

Rarement objet des politiques publiques, les territoires ruraux ne manquent pourtant pas d’atouts, au contraire. C’est dans leur complémentarité avec les territoires urbains qu’il faudrait les appréhender.

*ANDRÉ CHEINET est ancien administrateur territorial dans le Cher.


A écouter ces dernières années les débats publics et commentaires, il semblerait que le rural n’intéresse que peu, sauf lors des campagnes électorales. Le reste du temps, tout est pour les « villes monde », les « métropoles », dont la création en France a fait l’objet d’une loi. Il est aussi toujours question d’en finir avec les départements.
Certes, la mondialisation des idées et des activités modifie la perception de l’espace ; pour autant, comment se contenter d’un projet qui écarterait une partie du territoire national et des hommes qui y vivent ? Et aussi, peut-on sérieusement penser qu’un développement peut se faire en ignorant le « désert » alentour ? Il y a là déjà en soi un problème qui fait naître un sentiment d’abandon parmi des populations qui expriment leur désarroi en se tournant vers l’extrême droite ou l’abstention. De plus, si on analyse de plus près la ruralité, l’image « vue de Paris » semble déformée. La ruralité est en réalité un atout pour le territoire.

RURALITÉ… DE QUOI PARLE-T-ON ?
Les statistiques (entre autres critères comme la continuité du bâti ou le nombre d’emplois) considèrent comme unité urbaine tout ensemble de plus de 2 000 habitants agglomérés. Dès lors, l’essentiel de la population est statistiquement urbaine. Mais cela sous-estime l’importance, en termes de liens et de développement du territoire, du tissu des villes petites et moyennes, étroitement liées aux campagnes environnantes. D’autres visions d’aménagement du territoire valorisent les territoires urbains principaux ; ainsi a-t-on parlé de « diagonale du vide » ou « diagonale aride », ce qui ne reflète pas une vision optimiste pour les territoires concernés. Surtout, nous sommes incités par de tels raisonnements à réfléchir en termes d’opposition et non de complémentarité des espaces.
Or 35 % des Français vivent dans des communes peu ou très peu denses, réparties sur 90 % du territoire. C’est cette réalité qu’il faut prendre en compte. Et avoir de nombreux terrains disponibles est un atout pour le développement de ces territoires qui peuvent relever les défis liés au développement durable souvent plus facilement que dans l’urbain.

LA RURALITÉ EST AUSSI UN ATTRAIT
« En France, l’attractivité des espaces ruraux n’est plus à démontrer […]. La campagne en tant que domaine dédié à la seule activité agricole ou lieu d’inscription de la société rurale a disparu ; elle est désormais un espace aux multiples usages, où des individus travaillent, habitent et se détendent tout en tissant continuellement des liens avec une diversité de territoires. (1)» Des sondages indiquent que, face aux difficultés d’existence en ville, 10 millions d’urbains ont un « désir de campagne ». D’ailleurs, la population des zones rurales a augmenté de 10 % en dix ans. Ces populations nouvelles, ces rurbains, ont des attentes et des besoins : ne pas y répondre conduit à des déceptions. Et, de fait, la constance des politiques publiques à accorder la priorisation des métropoles et à les aider est en décalage avec le vécu des campagnes.

RAISONNER ENFIN EN TERMES DE COMPLÉMENTARITÉ ?
Les territoires ruraux connaissent des évolutions sociales, économiques et politiques. L’agriculture remet en cause des modèles qui semblaient acquis.
Des pratiques nouvelles se développent fortement, comme tout ce qui relève des circuits courts. Cet exemple est significatif du dynamisme de ces territoires. Nous touchons là à la fois l’économie (la capacité à vivre de son travail), le développement durable, la démocratie et la vie citoyenne (nombreuses initiatives d’habitants, lien social…). Dans ces évolutions, le rural a d’abord une fonction résidentielle : ce qui a été un temps résidence secondaire peut devenir résidence principale pour la période de retraite, au point que des universitaires parlent d’« économie résidentielle » comme mode économique de ces zones. Mais cette expression est réductrice ; en effet, ce faisant, ces territoires sont devenus de fait des territoires innovants, des développeurs de formes nouvelles d’activités (services aux personnes âgées et, plus généralement, développement de la « silver économie » (2).
Le rural c’est aussi un lieu de ressources d’équilibre, nécessaires aussi aux loisirs de la population urbaine grâce à son potentiel naturel : l’eau, le bois, l’éolien, etc.
Le maillage de villes moyennes, de bourgs-centres à côté d’espaces naturels, vient donc compléter l’urbain et constitue des espaces interstitiels vivants. Des territoires donc pour lesquels il serait porteur de raisonner en termes de complémentarité avec les autres territoires. Ainsi, l’espace national doit être considéré comme un ensemble de territoires en réseau, s’enrichissant mutuellement. Et le secteur rural apporte ses atouts, ses ressources, ses capacités d’accueil, etc.

ANNONCER CLAIREMENT UNE POLITIQUE POUR LE RURAL
Pour en finir avec le sentiment d’abandon des populations, il faut des positionnements clairs. En premier lieu, il faut revenir sur les réformes territoriales qui organisent des territoires à deux vitesses et qui accroissent pour beaucoup l’éloignement des centres de décision. Les politiques à développer doivent partir du constat que les experts du rural sont les populations concernées et ses représentants locaux. Les dotations d’État aux collectivités doivent être maintenues afin que ces dernières puissent agir.
Ensuite, il faut assouplir les règles européennes. Bel exemple de ce que produit l’éloignement des centres de décision, les règles en préparation s’imposeraient pour un territoire régional global, jugé sur des critères statistiques sans prendre en compte des spécificités infra-région. Ainsi, une région, parce qu’elle a une grande ville dynamique, aurait l’interdiction d’intervenir en matière économique notamment, et donc d’aider des zones moins développées en son sein.

Pour un développement équilibré On voit bien que, à l’inverse, il s’agit d’allier les multiples facettes d’une politique cohérente :

– aider à la constitution de diagnostics des territoires, mettant en évidence leurs compétences. Des emplois peuvent y être attirés en complémentarité des villes où le prix du foncier est dissuasif ;
– s’appuyer sur un développement des ressources, par exemple aider au développement de la méthanisation à partir de la biomasse, qui est une ressource non délocalisable, pérenne et durable ;
– aider au développement de l’attractivité des territoires par des offres de services globales, alliant tourisme et mise en valeur de l’économie locale ;
– favoriser le développement des circuits courts, alliant productions de proximité, bien souvent biologiques, et soutien des initiatives citoyennes allant dans ce sens ;
– développer les services aux entreprises. Parmi ceux-ci, la question de l’accès au numérique haut débit est majeure.
C’est le moyen de l’ouverture au monde, mais aussi un moyen de relocalisation d’activités et d’emplois utilisant ces technologies sans nécessité d’un environnement de milieu urbain ;
– développer les services aux personnes et développer la silver économie. Les territoires ruraux sont des zones d’accueil permettant le développement de ces activités.

Acter une politique de non-abandon de ces territoires Cela passe par trois grands axes.

1.Maintenir des services publics : le sentiment d’abandon est le sentiment d’abandon est déterminé par l’absence de la poste et de l’école. Ces services doivent être maintenus au plus près. Il faut accepter la notion de « service plancher », minimum indispensable, à l’échelle des bassins de vie, au maintien des populations. De même, la question de la mobilité et des moyens mis à disposition est très importante : les politiques d’abandon des lignes ferrées secondaires ont eu un impact négatif sur les zones rurales ; il importe donc de retrouver, s’appuyant sur la multimobilité, un niveau de desserte satisfaisant. Garantir enfin une couverture médicale suffisante, d’autant plus nécessaire que la population est vieillissante.
2. Reconstruire une ingénierie territoriale au service du développement local.
3. En matière économique, outre les points ci-dessus, garantir une place aux TPE et PME dans les conventions de revitalisation des territoires. En matière agricole, travailler à la garantie de prix minimums satisfaisants à la production, à la maîtrise du foncier pour permettre aux jeunes de s’installer, favoriser les pratiques agro-écologiques.


EN CONCLUSION, UNE FRANCE RICHE DE SES DIVERSITÉS
Il est sain de s’interroger sur l’efficience de l’action publique au service des populations. Au moment où monte l’aspiration à vivre et travailler autrement, le rural présente des atouts de qualité de vie, d’innovation et de solidarité. Il apparaît ainsi nécessaire que les politiques menées affirment que la France se développe dans la diversité de ses territoires, que les dynamiques urbaines et rurales sont complémentaires.
Dans ce cadre, et si l’on veut en finir avec le sentiment d’abandon ressenti sur le territoire, des mesures doivent être prises pour affirmer l’équité territoriale dans le cadre d’une république solidaire.

(1) INRA, Prospective, les Nouvelles Ruralités en France à l’horizon 2030, étude publiée en 2006.
(2) Activités économiques liées aux personnes âgées.

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