Jean-Pierre Kahane, directeur et cofondateur de notre revue est dĂ©cĂ©dĂ© le 21 juin 2017. Nous avons tenu Ă lui rendre hommage en publiant une sĂ©lection de ses derniers textes parus dans la presse. Dans un prochain numĂ©ro, nous reviendrons sur sa vie, ses convictions, ses combats militants, en particulier contre lâobscurantisme, et aussi son apport au monde des sciences. LâĂ©quipe de Progressistes tient Ă nouveau Ă exprimer toute sa sympathie Ă la famille et aux amis de Jean-Pierre.Â
*Evariste Sanchez-Palencia est mathĂ©maticien, membre de l’AcadĂ©mie des Sciences.
Souvent dĂ©fini comme « mathĂ©maticien », Jean-Pierre Kahane Ă©tait un humaniste, un homme des LumiĂšres, ou, tout simplement, un homme de lumiĂšre. Tout ce qui Ă©tait humain lui Ă©tait proche, la science, bien sĂ»r, mais Ă©galement lâhistoire, la philosophie, et surtout la politique, instrument incomparable de la construction du futur.
Humaniste de trĂšs haut niveau, mu par une foi indĂ©fectible en le futur, sa pensĂ©e dominait le temps et lâespace. Ă propos de tel incident particulier, il renvoyait Ă un dialogue de Platon ; en parlant de mathĂ©matiques ou de philosophie, il commentait un fait de la vie quotidienne. Mais sa pensĂ©e Ă©tait trĂšs loin dâĂȘtre un pur exercice intellectuel, elle aboutissait toujours Ă la pratique, au concret, Ă lâutile. Il avait un faible pour le grand mathĂ©maticien Joseph Fourier, dont il parlait et quâil citait comme sâil sâagissait dâun collĂšgue rencontrĂ© la veille. Comme celle de Fourier, sa pensĂ©e prenait ses racines et retournait toujours au concret, Ă la vie qui nous entoure, pour la faire devenir meilleure.
Grand organisateur et grand fĂ©dĂ©rateur, toujours soucieux de faire donner Ă chacun le meilleur de lui-mĂȘme, il nâĂ©crasait jamais autrui de sa supĂ©rioritĂ© intellectuelle. Toujours bienveillant, il trouvait le cĂŽtĂ© positif de toute chose, tout en Ă©tant parfaitement lucide et nullement conformiste.
Je nâai Ă©tĂ© proche de lui que ces derniĂšres annĂ©es, mais quelques entretiens avaient suffi pour crĂ©er des liens sincĂšres et solides. Jean-Pierre Kahane ne faisait pas de miracles, et ne rĂ©solvait pas les problĂšmes insolubles, mais, aprĂšs un entretien avec lui, on ne voyait plus le sujet de la mĂȘme façon, il y avait une issue, un renvoi Ă une autre chose, une chose qui valait la peine dâĂȘtre faite. Il nây a pas trĂšs longtemps, Ă lâissue dâun entretien sur des affaires assez concrĂštes de routine, il mâavait surpris en me disant : « Mais il faudra bien sâoccuper enfin de ce que va devenir le Bangladesh avec la montĂ©e du niveau de la mer suite au rĂ©chauffement! » Il mâavait fait penser Ă ĂlisĂ©e Reclus, un autre grand scientifique et humaniste rĂ©volutionnaire, qui disait, dĂ©jĂ en 1905, dans sa monumentale oeuvre posthume lâHomme et la Terre (reĂ©dition La DĂ©couverte, 1989, textes choisis et introduction de B. Giblin) : « Il faut tenir compte de lâinter-Ă©volution de tous les peuples. Aujourdâhui, tous les peuples entrent dans la danse. Il nây a plus de question de progrĂšs que pour la terre entiĂšre » (t. I, p. 37) et « La prospĂ©ritĂ© des uns amĂšne la dĂ©chĂ©ance des autres. LĂ est le cĂŽtĂ© trĂšs douloureux de notre demie-civilisation, si vantĂ©e, demi-civilisation puisquâelle ne profite pas Ă tous » (t. VI, p. 533).
Câest entendu, tout ce qui est humain nous sera proche, nous Ćuvrerons pour que notre demi-civilisation devienne une civilisation, nous penserons Ă la montĂ©e des eaux issue du rĂ©chauffement climatique et aux mouvements migratoires quâelle engendrera. Merci ĂlisĂ©e ! Merci Jean-Pierre !