Scénarios 100% énergies renouvelables: que valent-ils?, Bertrand Cassoret*

Des politiques et journalistes l’affirment : il serait possible, en France, de passer à 100 % d’énergies renouvelables. Mais est-il vraiment possible de se passer des énergies fossiles et nucléaires, même avec une réduction drastique de la consommation d’énergie ?

*BERTRAND CASSORET est maître de conférences en génie électrique.


ÉLECTRICITÉ OU ÉNERGIE?
L’affirmation qu’il serait possible de passer à 100 % d’énergies renouvelables s’appuie généralement sur une étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) parue en 2015 portant sur une France alimentée à 100 % en électricité renouvelable. Or l’électricité représente moins de 23 % de la consommation finale d’énergie française. Avec une électricité 100 % renouvelable, on sortirait du nucléaire, mais on résoudrait moins du quart du problème énergétique. Pourquoi serait-il souhaitable de n’utiliser que des énergies renouvelables? Parce qu’elles ne manqueront jamais, et aussi parce qu’elles émettent peu de polluants atmosphériques dangereux pour la santé et peu de CO2, qui réchauffe le climat. Les énergies fossiles sont responsables, par la pollution qu’ils génèrent, de centaines de milliers de morts dans le monde chaque année : elles représentent, en nombre de morts, des centaines de Tchernobyl par an, sans parler des conséquences du réchauffement climatique. L’important est donc de se passer des énergies fossiles, c’est-à-dire du pétrole, du gaz, et du charbon. Or, en France, ces énergies servent très peu à produire de l’électricité, elles servent essentiellement au transport et au chauffage. Il paraît donc souhaitable de remplacer les automobiles à pétrole par des automobiles électriques, les camions à pétrole par des trains de marchandises électriques, les chauffages au gaz ou au fioul par des pompes à chaleur électriques, les processus de chauffage industriels au charbon, fioul ou gaz par des systèmes électriques… Mais cela devrait logiquement faire augmenter la consommation d’électricité. Il faut donc regarder le problème énergétique dans son ensemble, et pas seulement sous le prisme de l’électricité.

LES SCÉNARIOS DE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
Le scénario Négawatt prévoit bien de se passer quasi entièrement du nucléaire, mais pas totalement des énergies fossiles, qui représenteraient encore 10 %. Ce scénario prévoit surtout une réduction drastique de la consommation d’énergie primaire, de 66 %. Le scénario Greenpeace aboutit à une baisse similaire de la demande énergétique (63 %) sans sortir complètement des fossiles. Pour réduire la consommation, parmi les propositions de Négawatt, de Greenpeace et de l’association Virage Énergie : baisse de 70 % de la consommation de vêtements, de 50 % des produits de ménage, de 50 % des cosmétiques et produits de toilette, de 50 % de la consommation de viande, de 50 % des sèche-linge, lave-vaisselle, congélateurs, équipements audiovisuels, réduction de 50 % de la taille des réfrigérateurs, utilisation de lave-linge collectifs, baisse de la température de confort des logements, réduction de la taille des logements (qui devraient pourtant être collectifs), hausse du nombre d’habitants par foyer, disparition du véhicule tel que nous le connaissons aujourd’hui, réduction du tourisme longue distance et des voyages en avion, baisse des hébergements en hôtels… On peut considérer ces changements comme nécessaires, mais ils sont absolument incompatibles avec la croissance économique recherchée par l’immense majorité des politiques. L’ADEME a publié en 2013 des scénarios de transition énergétique (« Contribution de l’ADEME à l’élaboration de visions énergétiques 2030-2050 »). Ils n’aboutissent pas du tout à la conclusion qu’on peut se passer aisément du nucléaire et des fossiles. Ils préconisent dans le scénario « médian » une baisse de 47 % de la consommation d’énergie finale. Les énergies renouvelables fourniraient alors de quoi couvrir 55 % des besoins, le reste étant assuré par le pétrole, le gaz et le nucléaire, qui auraient un rôle non négligeable. Selon les scénarios la production nucléaire irait de 251 à 670 TWh par an (elle a été en 2015 de 417 TWh). L’Agence nationale de coordination de la recherche pour l’énergie a publié en 2013 trois scénarios qui permettraient de diviser par 4 les rejets de CO2 à l’horizon 2050 : tout en développant largement les énergies renouvelables et sans sortir du nucléaire, les baisses de consommation d’énergie finale iraient de 27 à 41 % grâce à des efforts soutenus d’efficacité énergétique. Le scénario Négatep de l’association Sauvons le climat prévoit une division par 4 des rejets de CO2 malgré une baisse de seulement 18 % environ de la consommation d’énergie finale. Les énergies fossiles seraient très largement remplacées par les énergies renouvelables (+ 150 %) et aussi nucléaire (+ 46 %) capables de produire de l’électricité dé-carbonée, dont la production augmenterait de 61 %. Aucun scénario français ne prétend donc qu’il est possible de remplacer les énergies fossiles et nucléaires par des renouvelables, même en diminuant drastiquement la consommation. Quant au scénario « Wind Water Sun », de l’université Stanford, en Californie, il prétend pouvoir couvrir tous les besoins énergétiques mondiaux avec des renouvelables, et ce sans baisse de confort. Le projet est tellement ambitieux que les critiques sur son réalisme ne manquent pas. Au niveau français, trop peu de détails sont donnés pour qu’on puisse bien comprendre par quel miracle il serait possible de faire ce que les études françaises ne prétendent pas pouvoir faire. Les potentiels de production utilisés sont supérieurs à ceux de tous les autres scénarios français, les problèmes d’intermittence et de stockage de l’électricité solaire et éolienne (1) semblent nettement sous-estimés. Et au rythme actuel d’installation d’éoliennes terrestres en France (environ 1 GW par an), il faudrait plus de 150 ans pour atteindre la puissance requise par ce scénario, alors que la durée de vie d’une éolienne ne dépasse pas 25 ans.

UNE ÉLECTRICITÉ 100 % RENOUVELABLE?
Si le but n’est pas de lutter contre la mortelle pollution atmosphérique et le dangereux réchauffement climatique mais de se passer du nucléaire, alors la question de savoir si, en France, on peut produire la quantité d’électricité que l’on consomme actuellement uniquement avec des renouvelables est pertinente. L’étude de l’ADEME « Un mix électrique 100 % renouvelable », parue en 2015, n’est pas un scénario de transition, puisqu’elle n’explique pas comment passer du système actuel à ce nouveau système. Il s’agit d’un travail « à caractère prospectif et exploratoire ». Il me semble que l’enthousiasme qu’a suscité cette étude peut être modéré, car elle considère dans son scénario de référence: – une consommation d’électricité en baisse à 422 TWh par an, contre environ 440 TWh (consommation nette) en 2015, et ce malgré 10 millions de véhicules électriques (sur 38 millions de véhicules actuellement en France), malgré aussi la croissance démographique et sans doute économique; – l’utilisation de bois ou de biogaz pour produire de l’électricité. Ces sources d’énergie seraient alors moins disponibles pour le chauffage; – des moments où il faudrait importer de l’électricité depuis l’étranger, non forcément produite par des renouvelables; – du stockage par batteries, dont le bilan environnemental est médiocre: il faudrait plusieurs millions de tonnes de batteries, d’autant que leur durée de vie est limitée ; – une augmentation du nombre de stations de transfert d’énergie par pompage (lacs artificiels ou barrages permettant un stockage indirect de l’électricité), sans qu’il soit précisé où construire de nouvelles immenses retenues d’eau. Rappelons la forte opposition qu’a rencontrée la construction du barrage de Sivens; – un important stockage par power to gas, technique permettant de transformer de l’électricité en gaz (hydrogène ou méthane) puis, éventuellement, celui-ci en électricité. Cette technique est prometteuse mais encore balbutiante et sans réel retour d’expérience. Elle n’existe actuellement que sous forme expérimentale ; compter largement dessus est donc assez ambitieux; – un énorme développement de l’éolien, dont la production serait de 303 TWh par an, alors qu’elle était au maximum de 160 TWh dans le rapport publié par l’ADEME en 2013. La production éolienne a été en France de 21 TWh en 2015, il faudrait au moins 10 fois plus d’éoliennes qu’aujourd’hui ; – un facteur de charge optimiste de l’éolien terrestre de 31 %, alors qu’il n’est actuellement que de 23 % (le facteur de charge est le rapport entre la puissance moyenne réelle et la puissance installée ; il rend compte du fait que le vent ne souffle pas toujours suffisamment); – une puissance éolienne installée de 96 GW, contre 10 GW en 2015. Sachant qu’on a installé en France moins de 1 GW par an ces dernières années, il faudrait 86 ans au même rythme pour arriver à cette puissance, mais la durée de vie d’une éolienne est au maximum de 25 ans; – d’importants reports de consommation (60 TWh) des usines, de chauffage des maisons, de chauffage de l’eau ou d’usage d’appareils électroménagers. Il faudrait, essentiellement, en fonction du vent, parfois décaler leur mise en marche lorsque la production ne suffit pas. Il s’agit donc d’une tendance vers un moindre confort, puisqu’il faudrait parfois décaler les horaires de travail des salariés, éviter de chauffer son logement lorsqu’il fait froid, de faire la cuisine lorsqu’on a faim…; – un ajustement offre/demande modélisé trop peu finement, les auteurs soulignant eux-mêmes que la gestion de la stabilité du réseau électrique n’est pas traitée dans l’étude. Indépendamment des problèmes d’intermittence et de stockage, cette étude précise que le productible maximal théorique des renouvelables est, en France, de 1268 TWh. Mais l’ADEME souligne que « rien ne garantit l’adéquation, à chaque instant, entre production et demande». Ce chiffre ne signifie donc pas que l’on puisse disposer de toute cette énergie: il faudrait lui soustraire les inévitables pertes de transport et de stockage, et surtout ce que l’on ne serait pas capable de stocker car pas forcément produit au moment où l’on en a besoin. Ce chiffre de 1268 TWh, bien que paraissant assez optimiste, reste nettement inférieur à la consommation d’énergie française (1900 TWh en énergie finale payée par le consommateur, presque 2900 TWh en énergie primaire avant toute transformation) et ne fait que confirmer la conclusion précédente: il faudrait considérablement diminuer notre consommation d’énergie pour sortir des fossiles et du nucléaire. Historiquement, on n’a jamais connu de croissance économique associée à une baisse de la consommation d’énergie, et ce découplage semble très improbable. Les politiques qui préconisent le remplacement des énergies fossiles et nucléaires par des renouvelables doivent donc commencer par expliquer comment ils vont gérer le chômage, les déficits publics, la santé, les retraites, l’éducation, la sécurité, les aides sociales… en décroissance économique.

(1) Photo à la une de l’article: Il faut près de 4 500 éoliennes pour produire l’équivalent d’un seul réacteur nucléaire de 1400 MW.

3 réflexions sur “Scénarios 100% énergies renouvelables: que valent-ils?, Bertrand Cassoret*

  1. Bonjour et merci pour votre article, il trouve un fort écho sur les réflexions que j’ai pu me faire sur la question auparavant !

    Concernant le couplage entre consommation d’énergie et PIB, ne devraient-on pas voir un changement drastique si un politique d’isolation des bâtiments est mise en place par exemple ?
    Je veux dire par là que dans l’histoire nous n’avons jamais eu comme barrière une consommation d’énergie maximale que l’on se fixe artificiellement (car on sait que sinon le climat va partir en cacahuète). Ne s’agit-il pas précisément d’un changement de paradigme qui découplerait ces deux données ?

    Petite remarque liée aux élections à venir, on a d’un cotés ceux qui prennent la questions très à cœur (Hamon, Mélenchon…) mais qui proposent le scénario Négawatt et de l’autre ceux qui s’en foutent ou qui prône d’aller vers plus de libéralisme ce qui, on le sait, ne réglera pas ce problème car on doit faire le plus possible avec de moins en moins. Pourquoi aucun candidat n’a pas des ambitions en terme de transition énergétique avec des moyens comme celui du Shift Project par exemple ?

    Nicolas Harmand

    1. « …couplage entre consommation d’énergie et PIB, ne devraient-on pas voir un changement drastique si un politique d’isolation des bâtiments est mise en place par exemple ? »
      Le PIB est un Instrument de mesure chiffré de l’économie du pays. Le lien entre le niveau du PIB et celui de l’énergie est prouvé de même qu’avec le niveau de chômage, de même encore avec le niveau de pauvreté…On comprend que beaucoup d’idéologues et de politiciens voudraient supprimer cet indicateur clé.
      Le niveau d’isolation que ce soit pour les bâtiments des particuliers, de l’industrie de l’agriculture, du tertiaire est l’UN des facteurs sur la « production » de Négawatts, certes mais de loin pas le seul.
      Quelle est son poids dans les économies d’énergies ? Que propose- t-on d’autre que des politiques incitatrices souvent très coûteuses inefficaces et inefficientes pour les citoyens et souvent les plus pauvres…
      De plus que vous soyez pauvres ou riche vous contribuerez plus ou moins …Le Smicard paye les mêmes taxes pour ses déplacements dont plus de 50% sur les carburants et pour l’électricité (à 6 KW de puissance souscrite 48% ) que le PDG vertueux. Ce dernier bénéficie souvent d’un assistanat de luxe avec logement et voiture mis au parc de l’entreprise.
      Depuis 20 ans les « aides » en matière de logement se traduisaient par un niveau de 40 Milliards d’Euros/an soit les ¾ du budget de l’éducation nationale.

      « …ceux qui prennent la question très à cœur (Hamon, Mélenchon…)».
      Est-il suffisant de prendre « très à cœur » pour étudier et résoudre un problème ? Quelle réponse donnent-ils ? Diminuer et/ou supprimer le NUCLEAIRE. Ils donnent selon les uns et les autres un échéancier plus ou moins élastique soit ! Mais aucun ne dit : Comment faire ? Qui le fera ? Avec qui ? Avec quoi ? Où ? Combien ça coutera ? La dimension humaine y est complètement occultée !
      Ne se retrouve-t-on pas dans la même configuration d’un certain candidat qui voulait couper la Sécurité Sociale en deux ? Pour faire plaisir et pour répondre à la mode d’un certain milieu, 5.5% des Français inscrits sur les listes, il laissait croire à ces radicaux économiques à un grand soir ultra libéral…pour être choisi à la primaire. On connait la suite.
      Vous appréciez le « Shift Project », moi aussi. Celui-ci est animé par J-M Jancovici. Celui -ci ayant le malheur, comme Hulot à une autre époque, de ne pas traiter en termes de MAL le nucléaire se fait traiter de nucléocrate. L’insulte, la colère étant le dernier « argument » de ceux qui sont dans la croyance et non dans la réalité scientifique et technique.
      Posons-nous la question; combien de ceux qui prêchent l’antinucléaire ont pris le temps de lire le rapport* sur Fukushima ? Combien de citoyens ont lu ce rapport ? Rapport pourtant écrit dans un langage on ne peut plus clair.

      *http://www.fukushima-blog.com/article-rapport-officiel-de-la-commission-d-enquete-independante-sur-l-accident-nucleaire-de-fukushima-tra-112317645.html

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