CRISPR-Cas9: le découpeur qui révolutionne la génétique, Michel Limousin*

Nous l’avons déjà évoqué (1) : les biotechnologies posent autant de questions sur l’avenir de l’homme qu’elles portent d’espoir dans le progrès. Mais ce qui est nouveau, c’est la rapidité de leur développement. Elles ne sont pas l’avenir, elles sont le présent et le CRISPR-Cas9 en est un exemple stupéfiant.

*MICHEL LIMOUSIN, docteur en médecine, est rédacteur en chef des Cahiers de santé publique et de protection sociale.


Qu’y a-t-il derrière ce nom bizarre ? Développée par la Française Emmanuelle Charpentier, directrice de recherche au Max-Planck Institut de Berlin, et l’États-Unienne Jennifer Doudna, de l’université de Berkeley (Californie), le CRISPR-Cas9 est une technique rapide, efficace et peu onéreuse qui permet une action sur l’ADN, et donc sur le génome. Cas9 (CRISPR associated protein 9) est une enzyme spécialisée (2) pour couper l’ADN avec deux zones de coupe actives, une pour chaque brin de la double hélice. Cette enzyme peut être utilisée pour modifier facilement et rapidement le génome des cellules. Cas9 est présente dans la nature : elle est associée aux séquences CRISPR (clustered regularly interspaced palindromic repeats ou « courtes répétitions palindromiques regroupées et régulièrement espacées ») dans l’immunité adaptative d’un microbe bien connu : Streptococcus pyogènes. En effet, cette bactérie utilise cet outil pour détecter et détruire l’ADN étranger (par exemple lors de l’invasion de son propre génome par de l’ADN de bactériophages ou de l’ADN plasmidique) et ainsi se protéger. Cas9 découpe alors cet ADN invasif. Passant d’une fonction naturelle d’origine bactérienne dans l’immunité à une fonction technologique, la protéine Cas9 est utilisée par l’homme comme un outil du génie génétique pour induire des cassures double brin dans l’ADN. Ces ruptures peuvent conduire à l’inactivation complète d’un gène ou à l’introduction de nouveaux gènes. Leur caractère pratique et peu onéreux en fait un véritable outil du mécano génétique d’aujourd’hui.

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APPLICATIONS ET PERSPECTIVES
Les premières applications ont été réalisées sur des animaux, et notamment des primates. Grâce à CRISPR-Cas9 et à son coût de développement réduit, des scientifiques ont déjà créé des applications qui peuvent elles-mêmes poser question. Un exemple : on a créé des vaches sans cornes, qui donc ne se blessent pas entre elles. Autre exemple : une équipe états-unienne a réussi à rendre un moustique résistant au paludisme, et prévoit de le libérer dans la nature pour qu’il transmette ce gène de résistance à l’ensemble de l’espèce et ainsi lutter contre cette pathologie. L’imagination des chercheurs va ouvrir des champs extraordinaires d’applications que nous ne développerons pas ici (mucoviscidose, diabète, cancer, sida, peut-être Alzheimer). La porte est ouverte non seulement à des modifications individuelles du génome dont on pourrait espérer qu’elles permettent des guérisons de maladies génétiques, mais aussi à des modifications du génome de l’espèce humaine (via les gamètes) transmissibles aux générations suivantes. C’est bien ici que se posent les problèmes éthiques. Ainsi le 18 avril 2015, des chercheurs de Canton ont publié un article dans Protein & Cell annonçant avoir utilisé la technique CRISPR-Cas9 pour modifier génétiquement des embryons humains. Selon Junjiu Huang, qui a dirigé ces recherches, cet article aurait été refusé par Science et Nature à cause des problèmes éthiques que de telles recherches posent. Autre événement : en janvier 2016, la Grande-Bretagne a autorisé la manipulation génétique sur des embryons humains à l’Institut Francis Crick de Londres. Cela permettrait d’étudier le début du développement de l’embryon et d’identifier ce qui provoque la réussite ou l’échec d’une fécondation in vitro mais relance, néanmoins, le débat sur la finalité de telles études.

DES PROBLÈMES D’ÉTHIQUE
En décembre 2015, au vu des multiples questions de sécurité et d’éthique, une réunion organisée par l’Académie américaine des sciences et de la médecine, l’Académie chinoise des sciences, et la Société royale de Londres a recommandé un moratoire. Malgré cela, repoussant les accusations d’eugénisme, des bio-éthiciens et des scientifiques ont soutenu que si des anomalies dans des gènes particuliers causant des conditions fatales et débilitantes pouvaient être corrigées dans un embryon, alors elles devaient l’être. Les inventeurs de cette technique se sont prononcés pour le moratoire. La France a pris position : l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) s’est saisi de la question en 2016 (audition publique à l’Assemblée nationale le 7 avril), l’Académie des sciences en a fait de même (publication de sa position officielle le 29 avril). La crainte porte sur un développement de l’eugénisme sur l’embryon et les cellules germinales.

LES DIFFICULTÉS DE L’HEURE
Distinguons à ce stade de la réflexion deux problèmes. Le premier est que cette technique n’est pas encore développée avec suffisamment de sécurité pour que des mutations non voulues, « hors cible », ne soient introduites malencontreusement dans le génome. Ce serait la porte ouverte à des catastrophes génétiques non prévisibles. Le second problème est que, même si ces erreurs techniques étaient corrigées par un progrès technologique à venir, le risque de modification du génome des humains est réel. Le Conseil consultatif national d’éthique présidé par le docteur Jean- Claude Ameisen s’est également saisi de ces questions. Le seul texte international contraignant est la Convention sur les droits de l’homme et de la biomédecine établie en 1997 à Oviedo, Espagne. Le principe posé dans l’article 13 est que toute modification introduite dans le génome d’un individu à des fins thérapeutiques ne peut être transmise au génome de la descendance. La France a ratifié ce texte, mais les États- Unis, la Grande-Bretagne et la Chine ne l’ont pas fait. Le comité d’éthique de l’INSERM a émis une recommandation pour que la recherche, y compris sur l’embryon, soit poursuivie pour faire progresser la connaissance. Une première entreprise française d’« édition du génome », nommée Cellectis, a déjà été créée. Les enjeux financiers n’ont pas tardé à montrer le bout de leur nez. Et aussitôt des bagarres pour la propriété des brevets sont enclenchées par les États- Unis. Dernier élément de réflexion : une application de cette technique au problème du sida a été tentée (3). En effet, si les traitements actuels du sida font disparaître la présence du virus dans le sang et font par là même disparaître les symptômes de la maladie, il n’en reste pas moins que le virus continue à « se cacher » de façon permanente dans le génome des cellules, et donc garde la possibilité de se répliquer. La guérison complète des patients ne sera possible que lorsque ce virus caché dans leur ADN sera éliminé. L’idée d’utiliser cette nouvelle technique de neutralisation de séquence virale a été tentée en introduisant une mutation du virus le rendant inopérant. Les expériences in vitro sur des cultures de cellules infectées par le virus ont montré une baisse de la production de virus (donc, ça marche) mais aussi que certaines cellules continuaient à produire le virus (donc, ça ne marche pas complètement). On a pu démontrer que les mutations introduites s’accompagnent de mutations supplémentaires non prévues et qu’ensuite, du fait de ces mutations imprévues, le virus ainsi modifié n’est plus reconnu et que la découpe ne peut alors se faire. Il en résulte alors que le virus modifié légèrement continue à se reproduire.

QUEL AVENIR ?
Tout cela montre la complexité de la technique, les erreurs possibles, la non-maîtrise totale des effets secondaires parasites, et justifie, en tout cas pour moi, la nécessité de rester prudent sur les manipulations génétiques transmissibles aux générations à venir. Mais peut-on faire confiance à l’Homme ? Va-t- on pouvoir résister au désir de modifier l’être humain ? Surtout si les intérêts financiers ou individuels s’en mêlent… Ne faut-il pas mettre en place des règles éthiques claires et incontournables ? Ne devrait-on pas, par exemple, recenser de façon exhaustive la liste des modifications introduites chez les individus identifiés pour suivre la situation de génération en génération ? Quid du principe de précaution ? Autrement dit, qui va défendre les intérêts supérieurs de l’humanité ?

(1) M. Limousin, « La révolution des biotechnologies », in Progressistes, no 10, octobre 2015, p 8.
(2) Image à la une de l’article: Structure de l’enzyme Cas9 décrite par M Jinek dans la revue Science (« Structural rendition was performed using UCSF Chimera software », 2014).

(2) Zhen Wang et all., Cell Reports, 15, 481, 2016.

2 réflexions sur “CRISPR-Cas9: le découpeur qui révolutionne la génétique, Michel Limousin*

  1. Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna ont participé à une conférence publique à l’Académie des Sciences dont on peut trouver les vidéos à cette adresse http://www.academie-sciences.fr/fr/Seances-publiques/la-revolution-crispr-cas9.html.

    Une autre conférence aura lieu prochainement le 21 Février 2017 sur les problèmes éthiques associés aux modifications génétiques dont l’annonce est la suivante http://www.academie-sciences.fr/fr/Colloques-conferences-et-debats/ethiques-crispr-cas9.html

  2. Bonjour

    il est tout à fait important selon moi de porter un regard attentif sur la nouvelle technologie de modification précise du génome qu’apporte la technologie utilisant la CRISPR Cas9. Un journal progressiste doit donc se préoccuper aussi fortement de la non brevetabilité des organismes qui seraient obtenus par de telles modifications. Or, à ce jour rien ne l’empêche y compris lorsque la modification d’un gène n’implique pas le gène d’une autre espèce. Et chez les plantes c’est un gros problème puisque rien ne distingue alors le produit d’un organisme « naturel ». Ce problème a été soulevé par nous dans la revue Nature (du 5 février 2015) où nous avons ainsi porté l’avis du conseil scientifique de l’INRA. Or, la loi sur la biodiversité passée récemment ne dit rien là-dessus, tandis que des laboratoires (notamment privés) cherchent à tout prix à s’approprier le génome des êtres vivants. Il est essentiel d’intégrer cette dimension dans la problématique vis à vis de ces technologie parce que leur régime de propriété intellectuelle va en fin de compte conditionner largement leur orientation et leur utilité sociale.

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