Continuons à convaincre ! par Sébastien Balibar*

Succès ou échec ? La COP21 a-t-elle débouché sur un avis suffisamment contraignant pour lutter efficacement contre le changement climatique ?  

*Sébastien Balibar est physicien, chercheur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS Paris), membre de l’Académie des Sciences.


C’est à l’unanimité que, le 12 décembre 2015, la 21e Conférence des parties (COP21) a adopté l’accord de Paris. Visiblement, l’euphorie régnait parmi les 196 délégations, et il y avait de quoi : une décision politique mondiale avait-elle jamais été prise à l’unanimité? Or des commentaires contradictoires n’ont pas tardé à fuser. Pour Laurent Fabius, président de la COP21, il s’agissait bien de l’accord « juridiquement contraignant » tant espéré, alors que d’autres, arguant de l’absence de pénalités à l’encontre de pays qui ne respecteraient pas l’accord, dénonçaient l’inutilité d’un texte de plus. Alors, contraignant ou pas ? De toute évidence, c’est un grand pas en avant, mais c’est très loin de suffire.

UNE ÉTAPE NÉCESSAIRE
C’est l’histoire du verre à moitié vide qui est à moitié plein. Tout d’abord, il faut bien se rappeler que les conférences COP, n’ayant jamais abouti à un accord sur un processus plus efficace, ont dû admettre que les décisions seraient prises à l’unanimité.
Dans ces conditions, il n’y avait que deux solutions. La première consistait à laisser chaque pays libre de décider lui-même de l’ampleur de son action contre le changement climatique. C’est celle qui a été choisie. Plus ambitieux aurait été de définir un objectif commun en revenant aux grands principes, en admettant enfin que, tous les êtres humains étant égaux en droits, dans aucun pays on n’a davantage de droits de polluer que dans d’autres. Compte tenu des travaux des milliers de chercheurs du GIEC, pour stabiliser le climat avant la fin du siècle il faudrait réduire les émissions de CO2 en dessous de 1,5 t par habitant, et ce dès 20501. Ce serait une étape nécessaire pour atteindre vers 2070 un équilibre où les océans et la végétation absorberaient tout le CO2 émis par l’activité humaine, ce qui stabiliserait la composition de l’atmosphère à une valeur relativement supportable2. Donc, la seconde solution aurait été de fixer à 1,5 t de CO2 par habitant et par an l’objectif à atteindre dès 2050 dans tous les pays.
En fait, ces deux solutions ne sont pas contradictoires. D’adopter la première était une étape nécessaire ; certes, elle n’est pas encore satisfaisante car de nombreux pays n’ont affiché que les propositions minimales qui les arrangeaient. Par exemple, les États-Unis ont proposé de réduire leurs émissions de CO2 de 28 % à l’horizon 2025. Cela pourrait paraître ambitieux, mais ces 28 % sont relatifs à 2005, et non à 1990, année de référence du protocole de Kyoto pour presque tous les pays. Le Sénat des États-Unis avait refusé à l’unanimité de signer le protocole de Kyoto parce que « l’American way of life n’est pas négociable», comme l’avait clamé George Bush en 1992, et ils en avaient profité pour augmenter leur pollution jusqu’en 2005, année record. Par rapport à 1990, les États- Unis ne proposent donc de réduire leurs émissions de CO2 que d’environ 15 %, ce qui est insuffisant. Dans un genre différent, la Chine ne promet de réduction qu’à partir de 2030, ce qui serait trop tard.
Mais on voit bien que pour estimer si les propositions d’un pays sont suffisantes ou insuffisantes il faut comparer à l’objectif universel de la seconde solution, un objectif qui devrait d’ailleurs évoluer en fonction de l’augmentation de la population. À Marrakech, en novembre 2016, la COP22 devrait passer à une estimation critique des propositions de chaque pays. La COP21 n’a fait qu’ouvrir la voie, maintenant il faut s’y engager ! Or elle nous en donne les moyens. Pour cela, il y a plusieurs nouvelles étapes à franchir dès que possible.

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LES PROCHAINES ÉTAPES : OÙ EST LA CONTRAINTE ?
Bataille politico-culturelle aux États-Unis
La première de ces étapes est celle de la ratification de l’accord de Paris par au moins 55% des pays représentant au moins 55 % des émissions actuelles, nécessaire pour qu’il soit appliqué. Cela semblait à portée de main. En effet, le président Obama pensait pouvoir s’appuyer sur une décision de la Cour suprême qui avait considéré, en 2007, que les problèmes de pollution relevaient de l’Agence fédérale de l’environnement, ce qui évitait de passer devant le Sénat, où la majorité est républicaine.
Aux États-Unis, la question du climat et de la transition énergétique a été instrumentalisée par le Parti républicain en vue des prochaines élections. En conséquence, 27 États à majorité républicaine ont entamé une procédure en justice pour s’opposer au Clean Power Plan de l’administration Obama, et la Cour suprême a suspendu ce plan le 9 février 2016. Bien que 18 États à majorité démocrate soutiennent le plan Obama, on voit que le danger d’une répétition de l’échec de Kyoto est malheureusement toujours présent. Depuis, l’un des neuf juges de la Cour suprême est décédé, et son remplacement demande l’agrément du Sénat…
On notera au passage que dans le cas important des États-Unis, si des pénalités avaient été prévues par l’accord, sa ratification aurait directement dépendu d’un vote au Sénat, et là on allait droit à l’échec. C’est pourquoi je pense que prendre prétexte de l’absence de pénalités dans l’accord de Paris pour le critiquer, c’est manquer quelque peu de réalisme. Mais si le Parti républicain gagne les prochaines élections aux États-Unis, l’avenir du climat va s’obscurcir.

Des moyens de pression pour les citoyens
On voit aussi que l’accord de Paris contraint chaque pays à définir clairement sa lutte contre un changement climatique dont divers lobbies climatosceptiques nient l’existence même. De plus, cet accord pose le problème de la solidarité internationale face au danger qui nous menace. Mais la véritable contrainte sur chaque gouvernement ne peut venir que de l’intérieur, des citoyens électeurs conscients du travail militant à effectuer. Si je reste relativement optimiste, c’est que l’accord de Paris donne aussi à ces citoyens des moyens pour convaincre.
En effet, les États ont désormais publié des engagements à une date précise. Certes, d’assez nombreuses promesses paraissent insuffisantes, mais les chiffres sont là. Cela permet une évaluation à l’échelle internationale – dans le cadre de la COP22 par exemple – et par les électeurs de chaque pays, ce qui paraît encore plus important car on ne pourra réussir à limiter le réchauffement climatique que grâce à un travail militant dans chaque pays.
De plus, l’accord de Paris demande à chaque État de publier les chiffres de ses émissions de gaz à effet de serre. À Kyoto, c’était seulement aux pays développés de l’annexe B que cette publication était demandée; aujourd’hui, c’est à tous les pays. Il faut dire qu’entretemps les émissions de pays émergents comme la Chine, l’Inde ou le Brésil sont devenues considérables. Les pays en voie de développement ont protesté, mais finalement accepté ce principe de transparence, probablement en échange de la création d’un « fonds vert » d’aide au développement propre, sur lequel je reviendrai.
Chaque citoyen engagé pourra donc comparer les émissions réelles aux promesses faites. Et à ceux qui m’objecteraient que les pays pourront toujours tricher là-dessus je répondrai que, de toutes les façons, ces chiffres vont bientôt être fournis directement par différents satellites.

Projection: Cylindrical (1) FOV: 176 x 56 Ev: 13.85
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TRANSITIONS ÉNERGÉTIQUES, TAXES CARBONE, FONDS VERT
S’engager à réduire ses émissions est une chose, y réussir en est une autre. C’est la question du réalisme des transitions énergétiques que de nombreux pays mettent en place. Il n’y a pas de solution miracle au problème de la décarbonisation de l’énergie. Les solutions vont dépendre de la géographie, du niveau de maîtrise technologique, des conditions économiques, culturelles et politiques de chaque pays.
Il faut développer la recherche de ruptures technologiques. En effet, il ne suffira pas, par exemple, d’installer des quantités d’éoliennes si l’on ne sait pas pallier leur intermittence autrement qu’en allumant des centrales à charbon, comme le fait l’Allemagne. La Suède a montré l’efficacité de taxes carbones qui permettraient de financer la production d’une énergie propre, qui coûtera nécessairement plus cher qu’une énergie sale : capturer puis stocker le CO2 des centrales thermiques coûte plus cher que de le laisser envahir l’atmosphère… Ces taxes pourraient être associées à un marché de permis d’émissions à condition que cela se fasse sous le contrôle d’une autorité de régulation qui empêche tricheries et dérives, comme celles qu’a connues récemment l’Europe. Organiser la solidarité mondiale autour d’une telle autorité supranationale représenterait une véritable révolution, mais nous en avons besoin. Quant à l’aide aux pays en développement, l’accord de Paris prévoit donc de la fournir grâce à un fonds vert de 100 milliards de dollars par an. La somme pourrait paraître énorme; pourtant elle représenterait moins de 0,01€ par litre d’essence. Ne pas réussir à financer ce plan vert serait honteux. Je n’ose pas croire cela possible. Et pourtant, là encore, il va falloir s’employer à convaincre.
En somme, devons-nous être optimistes sur l’avenir de la lutte contre le changement climatique ? Une chose me paraît claire : l’accord de Paris n’est qu’un début, le mettre en oeuvre nécessitera un immense travail d’information et d’explication.

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