Lorsque lâon se lance dans la vĂ©rification dâune information, notre recherche est-elle objective? Ou lâorientons-nous inconsciemment de maniĂšre Ă obtenir des rĂ©sultats conformes Ă nos convictions prĂ©alables? Un article Ă lâencontre des certitudes faciles. Â
*Nicolas Gauvrit , mathĂ©maticien et psychologue, est maitre de confĂ©rence Ă l’UniversitĂ© d’Artois.
Dans un monde oĂč nous pouvons tous piocher si facilement dans cette formidable encyclopĂ©die de la connaissance humaine quâest Internet, on aurait pu sâattendre Ă une rĂ©duction massive des croyances irrationnelles, des mythes et dâune position contraire aux acquis scientifiques. Tel nâest pas le cas. Au contraire, il semblerait que les mythes et les croyances, toujours aussi nombreux, se rĂ©pandent dĂ©sormais plus rapidement et plus loin quâautrefois.
Des chercheurs essaient de comprendre comment lâaccĂšs Ă la connaissance universelle se traduit par une stagnation, si ce nâest par une augmentation des croyances contraires aux faits. Lâune des pistes est explorĂ©e depuis plus de quarante ans : si lâhumain dispose dâune intuition gĂ©nĂ©ralement efficace, il y a malgrĂ© tout des failles dans notre raisonnement ordinaire. Nous usons bien souvent de raccourcis logiques aventureux et trahissons involontairement la logique. Lâeffet de certaines de ces failles est amplifiĂ© par la mĂ©canique dâInternet.
Paradoxalement, la facilitĂ© dâaccĂšs Ă lâinformation peut ainsi se traduire par un accroissement des effets de nos erreurs ordinaires.
LE TĂLĂPHONE ET LE POP-CORN
Les preuves de lâefficacitĂ© globale des vaccins abondent. Pourtant, les internautes peuvent naviguer sur le Web de page en page pendant des heures et arriver Ă la conclusion quâil est prĂ©fĂ©rable de ne pas vacciner ses enfants. Le consensus scientifique concernant lâexistence du rĂ©chauffement climatique et de son lien avec lâactivitĂ© humaine approche lâunanimitĂ©. Pourtant, les internautes peuvent naviguer sur le Web de page en page pendant des heures, puis conclure quâil nây a aucun rĂ©chauffement climatique. Une des raisons de ce paradoxe a pour nom « biais de confirmation ». Il sâagit dâune tendance universelle, mais trompeuse, qui nous conduit Ă chercher Ă valider nos croyances plutĂŽt quâĂ les tester. Autrement dit, nous cherchons plutĂŽt Ă prouver que notre croyance initiale est juste plutĂŽt quâĂ savoir si elle est exacte.
Pour illustrer ce phĂ©nomĂšne, remontons dans le temps, quelques annĂ©es en arriĂšre. Une sĂ©rie de vidĂ©os virales montraient une prĂ©tendue expĂ©rience, dans laquelle on plaçait des grains de maĂŻs sur une table, entourĂ©s de trois ou quatre tĂ©lĂ©phones portables ; lorsque les tĂ©lĂ©phones sonnaient, les grains de maĂŻs explosaient et se muaient rapidement en un popcorn tout Ă fait appĂ©tissant. Il fallait bien sĂ»r en conclure que les ondes Ă©mises par les tĂ©lĂ©phones Ă©taient extrĂȘmement dangereuses, puisquâelles diffusaient la puissance nĂ©cessaire pour cuire du maĂŻs. A priori, le phĂ©nomĂšne semblait peu crĂ©dible. En effet, sâil Ă©tait vraiment possible dâapporter suffisamment de chaleur pour transformer un grain de maĂŻs en pop-corn avec trois tĂ©lĂ©phones, comment expliquer quâon ne ressente pas une brĂ»lure aiguĂ« Ă lâoreille lorsquâon tĂ©lĂ©phone ? Mais les vidĂ©os Ă©taient bien rĂ©alisĂ©es, on ne dĂ©celait aucun trucage.
Sa curiositĂ© piquĂ©e, un de mes amis fit des recherches en ligne afin de savoir si câĂ©tait du lard ou du cochon (ou plutĂŽt, du fait du biais de confirmation, pour confirmer que câĂ©tait bien du lard). Il fut rapidement convaincu : les vidĂ©os Ă©taient authentiques, les tĂ©lĂ©phones funestes. Il me fit part de sa nouvelle conviction avec les arguments suivants : « Il existe de trĂšs nombreuses vidĂ©os qui, toutes, montrent le mĂȘme phĂ©nomĂšne. On ne distingue aucun trucage manifeste en observant ces vidĂ©os, qui viennent des quatre coins du monde. Leur rĂ©alitĂ© est encore confirmĂ©e par des dizaines de sites. » Certes, admettait-il volontiers, sâil sâagissait dâun canular facile Ă reproduire, il Ă©tait tout Ă fait possible que de nombreuses personnes sur la planĂšte aient eu lâidĂ©e de sâen saisir, pour Ă©pater leurs amis par exemple. NĂ©anmoins, il nây croyait pas, car les dizaines de sites quâil avait visitĂ©s concluaient tous dans le mĂȘme sens : danger des ondes, morbiditĂ© du tĂ©lĂ©phone portable, nouvelle recette de pop-corn.
Tout de mĂȘme, le phĂ©nomĂšne me paraissait Ă©trange. Jâallai donc Ă mon tour Ă la pĂȘche aux informations, et trouvai vite des articles indiquant clairement quâil sâagissait dâun canular, ainsi que des explications dĂ©taillant par le menu la procĂ©dure permettant de reproduire le phĂ©nomĂšne. Comment se fait-il que deux personnes Ă la recherche dâinformations sur un mĂȘme Ă©vĂ©nement arrivent Ă des conclusions diamĂ©tralement op po sĂ©es ? Câest un cas tout Ă fait typique oĂč le biais de confirmation conduit chacun Ă confirmer ses croyances. Mon ami, qui croyait au phĂ©nomĂšne, a utilisĂ© des requĂȘtes comme « cell phone pop-corn » (tĂ©lĂ©phone portable pop-corn). De mon cĂŽtĂ©, sceptique sur le phĂ©nomĂšne, jâai cherchĂ© au contraire Ă rĂ©futer cette affirmation, en utilisant des requĂȘtes comme « cell phone pop-corn hoax » (tĂ©lĂ©phone portable pop-corn canular)⊠et je suis, bien sĂ»r, tombĂ© sur des sites tout Ă fait diffĂ©rents. Cet exemple illustre bien un des effets les plus directs du biais de confirmation. Parce que chacun a tendance Ă chercher une confirmation de ses croyances, lâopposant aux plantes gĂ©nĂ©tiquement modifiĂ©es tombera sur des sites prĂ©tendant avoir des preuves de la toxicitĂ© des OGM; lâopposant aux vaccins trouvera facilement des dizaines de sites rĂ©vĂ©lant les magouilles rĂ©elles et imaginaires de lâindustrie pharmaceutique et prĂ©sentant des arguments contre la vaccination. Lâun et lâautre seront rarement confrontĂ©s aux arguments adverses.
LES SURDOUĂS DE LâANXIĂTĂ
Le biais de confirmation, parce quâil oriente nos recherches, peut conduire Ă renforcer des croyances fausses. Il a aussi des effets plus sournois et moins directs en jouant sur le « bain » intellectuel dans lequel nous barbotons. Notre appĂ©tit pour les arguments compatibles avec nos croyances prĂ©alables nous pousse non seulement Ă chercher de maniĂšre inadĂ©quate, mais aussi Ă rejoindre des groupes qui partagent nos penchants. Sur les rĂ©seaux sociaux, on intĂšgre rarement des groupes de droite quand on est de gauche, ou des groupes rationalistes quand on est crĂ©ationniste, et ce dâabord parce quâil nâest pas agrĂ©able de sâentendre dire ses quatre vĂ©ritĂ©s et ensuite parce que, si on sâexprime Ă rebours de lâopinion majoritaire, on court le risque dâĂȘtre Ă©vincĂ© comme « troll ».
La consĂ©quence de cet instinct grĂ©gaire fondĂ© sur les opinions prĂ©alables est la crĂ©ation de chambres dâĂ©cho; autrement dit de lieux de rencontre oĂč les mĂȘmes opinions sont inlassablement rĂ©pĂ©tĂ©es parce quâelles correspondent Ă une croyance ou Ă un idĂ©al partagĂ© par le groupe. Un exemple relativement neutre est donnĂ© par plusieurs groupes traitant de prĂ©cocitĂ© intellectuelle. Dans ces groupes, une grande majoritĂ© est convaincue que lâintelligence supĂ©rieure sâaccompagne quasi systĂ©matiquement dâanxiĂ©tĂ©, de stress et souvent de dĂ©pression. Des Ă©tudes Ă grande Ă©chelle ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es par les scientifiques depuis prĂšs de soixante ans, qui concluent presque invariablement en sens inverse : les enfants et les adultes Ă lâintelligence supĂ©rieure ne sont pas en moyenne plus anxieux que les autres.
Que se passe-t-il donc dans ces groupes pour quâune telle conviction, contraire Ă lâĂ©tat de la science, perdure, se dĂ©veloppe en sens contraire de toutes preuves tangibles ? Dâabord, les membres du groupe qui sâexpriment Ă rebours de lâidĂ©e prĂ©dominante prennent le risque dâune mise Ă lâĂ©cart. Câest donc une position inconfortable et on peut imaginer que ceux qui doutent du credo auront quelques rĂ©ticences Ă lâexprimer en public. Ensuite, il y a ce phĂ©nomĂšne dâĂ©cho : toute personne identifiable comme « experte » exprimant lâidĂ©e partagĂ©e par le groupe sera immĂ©diatement applaudie, ses publications partagĂ©es et commentĂ©es ; celui qui annoncera un rĂ©sultat contraire aura une rĂ©sonance moindre. RĂ©sultat : les membres sont baignĂ©s dans cette idĂ©e, tellement rĂ©pĂ©tĂ©e quâelle en devient une Ă©vidence, que les experts sont en grande majoritĂ© de leur cĂŽtĂ©. Au fur et Ă mesure du temps, ce contact permanent avec leur croyance la renforce, lâancre, la mue en certitude. Dans lâexemple prĂ©cĂ©dent, la croyance est Ă la fois crĂ©dible et sans consĂ©quence dramatique. Dans dâautres cas, les croyances qui se dĂ©veloppent Ă lâintĂ©rieur des groupes peuvent paraĂźtre totalement extravagantes vues de lâextĂ©rieur et sâavĂ©rer dangereuses pour la sociĂ©tĂ©. La chambre dâĂ©cho peut amener progressivement des groupes Ă des croyances trĂšs Ă©loignĂ©es de ce qui nous semble ĂȘtre le bon sens le plus Ă©lĂ©mentaire. On pense bien sĂ»r Ă la multiplication des thĂ©ories du complot, comme celles affirmant aprĂšs chaque avalanche quâelle a Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©e par une bombe israĂ©lienne invisible ! Sur des groupes opposĂ©s Ă Monsanto, des membres ont partagĂ© en boucle des articles annonçant que le gĂ©ant de lâindustrie alimentaire Ă©tait poursuivi pour crimes contre lâhumanitĂ© par le Tribunal pĂ©nal international. En rĂ©alitĂ©, un petit groupe de militants a simplement dĂ©cidĂ© de jouer une parodie de procĂšs. Rien de lĂ©gal, rien dâofficiel. Pourtant, parce quâelle convenait bien au groupe, la nouvelle a fini par convaincre dans cette caisse de rĂ©sonance.
POUR MOURIR MOINS BĂTE
Si on nây prend garde, et si lâon suit notre tendance bien humaine Ă confirmer nos croyances plutĂŽt quâĂ les tester, on sâexpose Ă mal chercher, Ă ne prendre en compte, notamment sur les rĂ©seaux sociaux, que lâopinion dâindividus partageant nos convictions â quand bien mĂȘme elles seraient fausses. Les erreurs qui en dĂ©coulent sont souvent amusantes et sans consĂ©quence. Mais lorsque câest lâopposition Ă la science qui grandit sur le terreau de cette faille du raisonnement humain, il y a de quoi sâinquiĂ©ter. Un comportement qui favoriserait la raison consiste, dâune part, Ă chercher systĂ©matiquement les arguments de lâadversaire malgrĂ© notre dĂ©fiance et, dâautre part, Ă faire un tour du cĂŽtĂ© des groupes qui nous sont opposĂ©s, pour jauger si ce quâils avancent est de nature Ă remettre en cause nos idĂ©es prĂ©conçues.
Surtout, tout cela montre que certains dĂ©fauts de notre esprit nĂ©cessitent une prise en compte urgente Ă lâheure oĂč chacun va chercher lâinformation non auprĂšs dâexperts, mais dans cet Ă©norme fourre-tout quâest Internet. Apprendre Ă chercher nâest ni long ni difficile, mais câest un projet Ă©ducatif urgent et indispensable.
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