Investir dans l’enseignement supérieur et la recherche, c’est libérer des forces immenses, Matthieu Bauhain*

Budget de l’État pour 2016 : faut-il plus de moyens pour l’ESR ? Le débat est d’autant plus légitime que les médias ont fait leurs gros titres, lors de la rentrée 2015, de l’augmentation continue du nombre d’inscrits dans les établissements (+ 68 000 par rapport à 2014).

*Matthieu Bauhain est secrétaire national de l » UEC (Union des Étudiants Communistes)


UN MANQUE À GAGNER DE 641 MILLIONS D’EUROS

Que les étudiants se rassurent : le gouvernement prend les choses en main. En effet, à coups de communiqués de presse, les différentes instances ministérielles se sont empressées d’annoncer une augmentation de 168 millions d’euros du budget de l’enseignement supérieur. Tout va bien dans le meilleur des mondes, puisque le gouvernement fait de la réussite étudiante une priorité. Vraiment? Personne n’est dupe : cette augmentation est prise en fonction de la comparaison en valeur nominale que l’on fait du budget de l’État d’une année sur l’autre. Et dans le contexte où l’on prévoit une hausse des prix de 1 % et une croissance en volume de la production de richesses de 1,5 %1, il faut mécaniquement augmenter le budget de l’ESR de 2,5 % en 2016 par rapport à 2015 pour qu’il reste stable. La tromperie est là : ces chiffres pris en compte, le manque à gagner pour l’ESR est donc de 641 millions d’euros. Dans le même temps, le budget de la défense connaît un surplus de 400 millions.

Ajoutons à cela que la Conférence des présidents d’universités stipule que, pour accueillir convenablement les étudiants supplémentaires, les établissements vont avoir besoin d’une rallonge budgétaire de 300 millions d’euros. C’est donc au total un manque à gagner de près de 1 milliard d’euros que connaîtra l’ESR cette année.

UN GÂCHIS

Nous voilà prévenus : les choses ne vont pas changer, elles vont même empirer. Et c’est une immense frustration qui perdure, celle que connaît tout étudiant qui entre en première année et qui s’accompagne des mêmes interrogations : comment des étudiants en chimie peuvent-ils apprendre correctement quand ils sont 50 en travaux pratiques ? Comment les futurs enseignants peuvent-ils réussir leur concours quand leur préparation a commencé cette année avec un mois de retard ? Comment réussir son parcours alors que, comme 70 % des étudiants, on n’a pas accès aux bourses ? Les conséquences des baisses budgétaires sont donc là: à chaque filière fermée, une vocation est bafouée ; à chaque TD non assuré, ce sont des compétences qui ne sont pas transmises, c’est un métier qui n’est pas maîtrisé.

Et contrairement au discours dominant, les étudiants sont prêts à travailler dur pour apprendre et exercer le métier qu’ils ont choisi. Ils sont d’ailleurs 80 % à déclarer aimer le travail et les valeurs qu’il implique.

Quel gâchis! Surtout si on considère que, en France, 40 % des jeunes diplômés sont sans emploi un an après le diplôme, qu’il manque 10000 ingénieurs, 19000 animateurs sportifs qualifiés, et qu’en 2020 il manquera 23 000 enseignants et des dizaines de milliers de techniciens industriels.

LIBÉRER DES FORCES POUR LE PROGRÈS SOCIAL

Il est donc indispensable d’investir dans l’enseignement supérieur. Il ne s’agit pas d’un simple « corporatisme » étudiant, car notre réussite libérerait des forces immenses, capables de permettre le progrès social, scientifique et économique dont le pays a besoin.

Même d’un point de vue comptable – puisque c’est tout ce qui intéresse le gouvernement –, les réductions budgétaires sont incompréhensibles : une étude2 a d’ailleurs démontré que 1 € investi dans l’enseignement supérieur est démultiplié par 4 et que 1 emploi créé par une université française induit près de 3,2 emplois dans l’économie nationale. Plus concrètement, le succès d’un organisme comme le CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) démontre qu’un investissement dans un organisme de recherche non soumis à des exigences de profits immédiats est indispensable au développement du progrès des connaissances dont la société a besoin. Il faut donc en finir avec les vieilles recettes inopérantes, tel le crédit d’impôt recherche (CIR) dont tout prouve qu’il est un outil de fraude fiscal, à hauteur de 5 milliards d’euros par an. En effet, seulement 6 % des entreprises qui en bénéficient ont créé de l’emploi en recherche et développement.n42-image de rentrée en PNG

Une première réorientation du CIR en direction de l’ESR, à hauteur de 1,5 milliard d’euros, paraît indispensable. D’abord pour réinvestir afin que les établissements soient en capacité d’accueillir l’ensemble des étudiants (notamment les nouveaux inscrits) dans des conditions dignes d’un service public de qualité. Ensuite pour donner un nouveau souffle aux œuvres universitaires en finançant de nouvelles bourses, voie pour aller vers une véritable protection sociale des étudiants via un salaire étudiant pour tous. Enfin pour revitaliser ces centaines de laboratoires qui n’ont plus les moyens de continuer leurs travaux de recherche. Des centaines de milliers de jeunes n’attendent qu’une chose : qu’on leur permette de s’exprimer, de créer, d’innover, de répondre aux enjeux de demain. Ils veulent plus de libertés professionnelles et apporter leur contribution au progrès social, technique et scientifique du pays. Nous voulons donner un sens nouveau à ces notions, pour sortir des tabous et gagner le combat des idées. Nous en débattrons donc sur tous les campus de France en mars 2016 pour la Semaine de la pensée marxiste, dont le thème cette année est justement le progrès.


1. http://www.alterecoplus.fr/infographies/lesvraies-baisses-des-depenses-du-budget- 2016-201510131159-00002301.html

2. Biggar Economics, sept. 2015.

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