CHANGEMENT CLIMATIQUE : DES FAITS TÊTUS, DES EFFETS ACCRUS… Jean-François Doussin*

La réalité du changement climatique ne fait plus réellement débat dans la communauté scientifique. Il faut dire que les faits sont têtus et que la mobilisation de la communauté scientifique qui étudie le système Terre a permis de « faire sortir du bruit » les preuves d’un dérèglement majeur.

*Jean-François Doussin est professeur de chimie atmosphérique et de physique de l’environnement à l’Université Paris Est

Beaucoup des changements observés depuis les années 1950 sont sans précédent depuis des millénaires. La température de surface au-dessus des terres et des océans a crû de manière significative. Si l’on prend en référence la moyenne des températures entre 1961 et 1990, il apparaît que la quasi totalité des moyennes antérieures à cette période est inférieure d’environ 0,3 °C et que les valeurs depuis cette période sont en croissance constante : elles atteignent aujourd’hui + 0,4 °C (fig.1).

EAU, BANQUISE, OCÉAN : LES CONSÉQUENCES DU RÉCHAUFFEMENT SONT TERRIBLES

Ce dérèglement affecte la totalité du globe, mais s’exprime de façon différenciée et spécifique à chaque écosystème. Le changement de température constaté entre 1901 et 2012 atteint ainsi près de + 2 °C au-dessus de la Sibérie, du bassin amazonien, de l’Afrique de l’Ouest ou encore des zones boréales. Ses conséquences mettent en cause ni plus ni moins que l’habitabilité de larges zones de notre planète en posant des questions d’accès aux ressources, au premier rang desquelles l’accès à l’eau.n25-grah1

Entre 1951 et 2010, les précipitations en Afrique de l’Ouest, dans le Bassin méditerranéen et en Extrême-Orient ont décru de 10 à 25 %. Parallèlement, on observe des accroissements des pluies dans l’Est américain, en Europe centrale et en Amérique du Sud, ainsi que des événements intenses plus ou moins destructeurs.

Tous les indicateurs de la souffrance des écosystèmes sont « au rouge ». Aux pôles, l’extension des glaces de mer d’été – banquises – est passée de 11 millions de kilomètres carrés (surface relativement stable entre 1900 et 1960) à 6 millions entre 2000 et 2015. Dans l’hémisphère nord, outre la disparition de tout un écosystème (médiatisée avec le sort des ours polaires), c’est la survie de la culture des populations arctiques qui est en jeu. En outre, la disparition de la cryosphère, qui renvoie une partie significative du rayonnement solaire vers l’espace, induit une rétroaction positive des plus problématiques. Enfin, les relevés des trois derniers siècles indiquent que le niveau moyen des océans, qui était resté stable au XVIIIe et XIXe siècle, s’est élevé de près de 20 cm depuis 1900.

La moyenne des concentrations de CO2 dans les couches de surface des océans a crû de 10 à 15 %. Ce gaz, que nos grands-pères appelaient « acide carbonique », est effectivement, une fois dissous, un acide qui conduit à abaisser le pH des océans. Cette acidification met en péril la biodiversité et les barrières de coraux en participant à la dissolution des squelettes calcaires et autres coquilles de toute une faune essentielle au fonctionnement des biotopes.

LES MODÈLES DU GIEC POUR PRÉDIRE LES CLIMATS DE DEMAIN

Devant le nombre et la cohérence des observations, les quelques sceptiques plus ou moins bien intentionnés ont déserté le débat quant à l’occurrence effective du réchauffement global et se sont rabattus sur la mise en question de la responsabilité des activités humaines.

Pour démontrer le caractère anthropique du réchauffement – et c’est là l’une des sorties majeures de son dernier rapport de 2013 –, le GIEC¹ a adopté une méthodologie aussi originale qu’édifiante : puisque, afin de prédire l’évolution du climat, la communauté scientifique met en œuvre tout un faisceau de modèles climatiques concurrents et complémentaires, et puisque ces modèles ont atteint des performances remarquables dans la reproduction du climat actuel, pourquoi ne pas, artificiellement, « éteindre » les facteurs anthropiques et regarder l’effet sur la réponse du modèle ?

Figure 2. Comparaison des changements climatiques observés et simulés fondée sur des séries chronologiques de trois indicateurs de grande échelle, dans l’atmosphère, la cryosphère et l’océan : évolution des températures de l’air au-dessus des surfaces continentales (cadres jaunes), étendue de la banquise arctique et antarctique de septembre (cadres blancs) et contenu thermique de l’océan (CTO) superficiel par grands bassins (cadres bleus). Les changements moyens à l’échelle du globe sont également indiqués.
Figure 2. Comparaison des changements climatiques observés et simulés fondée sur des séries chronologiques de trois indicateurs de grande échelle, dans l’atmosphère, la cryosphère et l’océan : évolution des températures de l’air au-dessus des surfaces continentales (cadres
jaunes), étendue de la banquise arctique et antarctique de septembre (cadres blancs) et contenu thermique de l’océan (CTO) superficiel par grands bassins (cadres bleus). Les changements moyens à l’échelle du globe sont également indiqués.

C’est ce qui a été fait pour trois grands indicateurs de grande échelle (fig. 2) : la température moyenne, le contenu thermique de l’océan et l’étendue moyenne de la glace de mer. Pour chacun de ces paramètres, les modèles sont capables de reproduire les dérèglements dans la plupart des parties du globe. Quand la composante anthropique est annulée le dérèglement disparaît, validant par là même la cause anthropique du réchauffement.

L’AUTRE TOURNANT DE LA RÉVOLUTION INDUSTRIELLE

Le doute n’est plus permis : le forçage que les activités humaines imposent à notre environnement dans son intensité, mais également dans son rythme, est devenu incompatible avec les capacités de mitigation du système. Le CO2 est non seulement un des principaux gaz à effet de serre mais aussi celui qui représente le mieux la divergence de ce forçage. Grâce aux carottages glaciaires combinés aux observations atmosphériques, nous sommes en mesure de reconstituer la concentration en dioxyde de carbone sur les 600 000 dernières années. Pendant 600 millénaires la concentration en CO2 a oscillé entre 200 et 300 ppm² . Cette tendance s’est maintenue jusque vers le milieu du XIXe siècle. À partir de la révolution industrielle, qui marque l’utilisation massive des combustibles fossiles (au premier rang desquels le charbon, rapidement complété par le pétrole et le gaz), on constate une augmentation qui s’accélère dramatiquement avec le développement industriel des années 1950.

Non seulement les concentrations de CO2 croissent, mais leur rythme d’accroissement s’accélère : on est ainsi passé de 0,7 ppm/an dans les années 1960 à 2,1 ppm/an aujourd’hui. Ces constatations sont également valables pour d’autres gaz à effet de serre, tels que le méthane ou le protoxyde d’azote (N2O).

La divergence du système climatique est telle que les modèles prévoient aujourd’hui une augmentation de température moyenne de 1,5 à 4 °C à l’horizon 2100, selon qu’on les alimente avec un scénario optimiste (contrôle des émissions de gaz à effet de serre, changement des pratiques, mutation de la production énergétique) ou pessimiste (poursuite des pratiques actuelles, et des tendances observées). À très court terme, on estime que la température moyenne se sera élevée de 0,3 à 0,7 °C entre la période 1986-2005 et la période 2016-2035.

Figure 3. Évolution de la concentration atmosphérique  moyenne du dioxyde de carbone depuis 10 000 ans. Les mesures proviennent des analyses des carottes de glace (points colorés, chaque couleur correspondant à une étude distincte) ou de prélèvements d’air atmosphérique (ligne rouge).
Figure 3. Évolution de la concentration atmosphérique moyenne du dioxyde de carbone depuis 10 000 ans. Les mesures proviennent des analyses des carottes de glace (points colorés,
chaque couleur correspondant à une étude distincte) ou de prélèvements d’air atmosphérique (ligne rouge).

VERS DES PHÉNOMÈNES CLIMATIQUES EXTRÊMES

Il est ainsi pratiquement certain que, dans la plupart des régions continentales, les pics de chaleur seront plus nombreux à mesure que la température moyenne du globe augmentera, et que les vagues de chaleur seront plus fréquentes et dureront plus longtemps. La moyenne annuelle des précipitations augmentera dans les hautes latitudes et l’océan Pacifique équatorial d’ici la fin de ce siècle.

Dans de nombreuses régions des moyennes latitudes et dans les régions subtropicales arides, les précipitations diminueront probablement, tandis que dans de nombreuses régions humides des moyennes latitudes, les précipitations moyennes augmenteront d’ici la fin de ce siècle. Cependant, les épisodes de précipitations extrêmes deviendront très probablement plus intenses et fréquents sur les continents des moyennes latitudes et dans les régions tropicales humides d’ici la fin de ce siècle. Enfin, il est probable que la saison de la mousson s’allonge dans de nombreuses régions. Il est très probable aussi qu’au cours du XXIe siècle l’étendue et l’épaisseur de la banquise arctique continueront à diminuer, de même que l’étendue du manteau neigeux de l’hémisphère nord au printemps. À l’échelle mondiale, les glaciers continueront de perdre de leur volume. Dans le scénario le plus pessimiste, le niveau des mers pourra s’élever d’environ 1,50 m, conduisant à la submersion de millions de kilomètres carrés de lagunes, de deltas et de polders, dans des zones s’étendant du Sud-Est asiatique à l’Europe du Nord.

L’INDISPENSABLE ALLIANCE DU PROGRÈS ET DES CHANGEMENTS DE SYSTÈMES

Il est probable qu’il soit déjà trop tard pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Tout reste cependant jouable afin d’empêcher les conséquences catastrophiques des scénarios pessimistes, qui ne sont malheureusement pas les moins réalistes. Pour conserver les concentrations de CO2 en deçà de 450 ppm et maintenir une élévation des températures moyennes en deçà de 2 °C à l’horizon 2100, il est nécessaire pour l’ensemble des modèles du GIEC – dans leur grande diversité – d’opérer une réduction mondiale de 40 à 70 % des émissions entre 2010 et 2050.

Pour réaliser de telles réductions, il est illusoire de considérer que le progrès technologique seul y pourvoira. Sans celui-ci, on n’y arrivera certainement pas. Cependant, des changements d’organisation des sociétés, des modes de production de l’énergie, des modes de consommation, de transports des hommes et des biens, ainsi que des trajectoires de développement sont indispensables. L’effort est structurel et colossal, mais à la hauteur des enjeux. Enfin, même si ces dernières années ont vu une mobilisation sans précédent des communautés scientifiques, le système Terre est loin d’avoir livré tous ses secrets. En comprendre les mécanismes fins reste indispensable tant pour la compréhension des trajectoires de réchauffement que pour l’évaluation des scénarios qui pourraient permettre la mitigation de ce péril qui menace ni plus ni moins que l’habitabilité de notre unique planète.


¹. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (sigle anglais : IPCC).

². ppm : partie par million ; ici il s’agit d’une molécule de CO2 dans 1 million de molécules d’air.

3 réflexions sur “CHANGEMENT CLIMATIQUE : DES FAITS TÊTUS, DES EFFETS ACCRUS… Jean-François Doussin*

  1. J’ai proposé un commentaire pour exprimer mon désaccord sur cet article, mais ma contribution a été écartée! Je ne suis pas suffisamment dans le prêt-à-penser du moment?! En tout cas c’est un bel exemple d’ouverture d’esprit de la part des responsables de la revue!

  2. Quand j’entends un scientifique parler, dans un article de vulgarisation, de  » MOYENNE  » de température, SUR LA SURFACE DU GLOBE, au cours des 10 000 ans passées, sans définir de quoi il parle, alors il me rappelle ce que mon beau-père, un vrai normand, disait du mauvais cidre « çui-là il a passé darrière-eu-l’ tas d’pomm « .
    Mais le business de la « transition énergétique » et l’appareil politique associé en fera son bouillon gras avec bonheur!

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