NE METTONS PAS D’EAU DANS NOTRE VIN !, Cécile Cukierman*

« Le vin est ce qu’il y a de plus civilisé au monde », Rabelais.

Les viticulteurs français ont développé un savoir-faire unique au monde. Face aux nouveaux enjeux climatiques et à l’industrialisation de leur secteur, c’est des expérimentations faites par ces paysans que naîtront les solutions de demain. À condition, toutefois, qu’ils soient accompagnés et protégés par les pouvoirs publics face aux appétits libéraux. 

*Cécile Cukierman est sénatrice de la Loire.

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PRIX MOYENS DES VIGNOBLES EN FRANCE EN 2011 85000 € l’hectare de vignes 99400 € l’hectare de vignes en AOC Environ 1000000 € l’hectare de vignes en Champagne

Des vins d’Alsace aux vins de Languedoc, de la Bourgogne à la val- lée du Rhône, de la vallée de la Loire à la Gironde et au Sud-Ouest, le vigno- ble est présent dans nombre de nos territoires. Et si nous avons une pré- férence pour tel ou tel cépage, force est de reconnaître que la culture de la vigne structure nombre de nos paysages. Un peu plus de 15 % de la production agricole française, en valeur, est le fruit de la viticulture. Pourtant, cette même viticulture ne représente que 3 % des surfaces agri- coles utilisées. 

UN SECTEUR SOUS PRESSION 

La vigne apporte des revenus sub- stantiels, plus élevés que d’autres cultures. Cela dit, il y a de grandes inégalités selon les régions, les appel- lations et les crus. L’envolée spécu- lative du prix de certains vignobles réputés, mise en exergue par les médias, ne doit pas masquer les ques- tions globales posées à une profes- sion qui compte de nombreux petits viticulteurs et toute une filière pro- fessionnelle derrière. 

Ainsi, les surfaces en vigne se rédui- sent d’année en année. D’un vigno- ble à l’autre, la situation varie, mais des problématiques communes sont posées aux viticultrices et viticul- teurs qui entendent résister à la pres- sion des négociants présents sur le marché international (16 % du vin de la planète est produit en France) et des tenants du libéralisme. Ces derniers ont appliqué depuis plu- sieurs décennies à la vitiviniculture les critères de gestion des secteurs marchands et industriels qui tirent les prix vers le bas. 

LE DROIT DE PLANTATION DE VIGNES SAUVÉ

En revenant sur le mécanisme de régulation de plantation de vignes, l’Union européenne voulait soumettre la viticulture aux logiques libérales. Elle a été mise en échec… pour l’instant.
En revenant sur le mécanisme de régulation de plantation de vignes, l’Union européenne voulait
soumettre la viticulture aux logiques libérales. Elle a été mise en échec… pour l’instant.

Cette logique a conduit les ministres de l’agriculture de l’UE, sur propo- sition de la Commission européenne, à imaginer en 2008 la suppression du mécanisme de régulation des plantations de vignes pour 2016. L’objectif apparent de la suppres- sion de ces droits de plantation (auto- risation ou non à planter des vignes à l’installation ou pour étendre son exploitation) est d’adapter le mar- ché à la demande pour éviter une surproduction et conserver des vins de qualité. Mais avec cette proposi- tion la Commission européenne pla- çait la viticulture dans la même logique que l’ensemble du secteur agricole : libéralisation de la plantation et, de fait, avec la mise en concurrence, obligation pour un certain nombre de producteurs de vendre leur pro- duction à des prix inférieurs à leur coût de revient. 

Accepter cette mise en concurrence, c’était nier le fait que la désignation « vin » recouvre des réalités très dif- férentes, tant en termes de terroir que de production potentielle. Cela participe à la volonté d’uniformiser le goût, objectif indispensable pour développer une industrialisation. L’accord sur la réforme de la poli- tique agricole commune pour 2014- 2020 avait clos le dossier sur l’octroi des droits de plantation des vignes jusqu’en 2030. Alors que rien n’était gagné, la mobilisation des viticul- trices et viticulteurs, de syndicats agricoles, d’élus et citoyens a permis de faire reculer la Commission. C’est une victoire contre la volonté de tout libéraliser pour mieux domi- ner les exploitants. Toutefois, si la Commission a été contrainte de qua- lifier ces droits de plantation de néces- sité absolue, dans les faits la situation est un simple maintien de l’existant. Le devenir de nombreuses exploita- tions reste donc bien en suspens. 

LA VITICULTURE PAYSANNE EST UNE CHANCE

Outre le marqueur culturel et histo- rique qu’est le vin, le défendre c’est aussi défendre les emplois directs et induits qui en dépendent. Culture exigeante sur le moyen et long terme et particulièrement exposée aux aléas climatiques, la viticulture doit aujourd’hui être accompagnée pour permettre une évolution respec- tueuse de l’environnement.

LA VIGNE ET LA FILIÈRE VITIVINICOLE EN FRANCE, C’EST 558000 emplois directs et indirects 7,6 Md€ d’exportations 16% de la production de vins de la planète
LA VIGNE
ET LA FILIÈRE
VITIVINICOLE EN
FRANCE, C’EST
558000
emplois directs
et indirects
7,6 Md€
d’exportations
16% de la
production de vins
de la planète


Nous ne pouvons que nous félici- ter de la relaxe de ce viticulteur bourguignon poursuivi pour avoir refusé le recours systématique aux insecticides. Alors que depuis plus de vingt ans les traitements insec- ticides systématiques n’ont pas fait reculer la cicadelle ni la flavescente dorée, il faut encourager la recherche, les expérimentations individuelles et collectives, favo- riser d’autres voies. 

Comme dans d’autres secteurs, les pouvoirs publics doivent accom- pagner la viticulture paysanne, seule à même d’apporter satisfaction à une population toujours plus regar- dante. Si cette dernière a fortement réduit sa consommation en volume, elle devient plus exigeante sur la qualité et les questions environne- mentales comme sur son rapport avec le viticulteur. 

L’INDUSTRIALISATION CONTRE L’URGENCE CLIMATIQUE

Quel que soit le bassin, les « petits » viticulteurs participent au dévelop- pement local (routes du vin, événe- ments festifs, caves ouvertes…). À l’inverse, une industrialisation du secteur détruira ce dynamisme, uni- formisera le vin, fera disparaître de nombreux cépages de nos territoires et de notre patrimoine agricole alors même que devant de l’urgence cli- matique, il est au contraire urgent de rechercher les mieux adaptés. L’industrialisation s’inscrit dans une logique opposée à celle de la recherche du bon vin, issu de la volonté d’équi- libre entre sol, climats et cépages : son seul but est en effet de répondre à une logique de rentabilité financière. Cela ne peut se traduire que par une alternative inadmissible : ou baisse du coût de production ou mise au point de produits de luxe réservés à une élite. 

En ce moment, les viticulteurs s’ac- tivent sur leurs parcelles pour pro- duire les meilleurs raisins possibles ; ils regardent le ciel, craignant plu- viométrie trop importante et grêle… Alors, poser la question de l’avenir de l’agriculture, c’est poser celle d’un modèle de production qui garantisse une juste rémunération du travail et la réalisation d’un produit de qua- lité pour garantir sa préservation. Souvenons-nous quedeficiente vino, deficit omne (« si le vin manque, il manque tout »).

Une réflexion sur “NE METTONS PAS D’EAU DANS NOTRE VIN !, Cécile Cukierman*

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