LES AGRICULTURES DE MONTAGNE DANS L’ÉTAU LIBÉRAL, JULIEN BRUGEROLLES*

Fin des quotas laitiers, traités internationaux de libre-échange, dogme de la concurrence libre et non faussée… : en France, l’agriculture de montagne est menacée, et avec elle c’est tout un ensemble de modèles et d’aspirations alimentaires qui est piétiné. 

*Julien Brugerolles est assistant parlementaire.

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3 du la 0 it de % montagne est produit sous appellation. Une situation qui le fragilise fortement face aux politiques libérales : ces appellations ne garantiront pas forcément sa protection.

L’agriculture en zone de montagne et de piémont en France présente de fortes spécificités. Terres d’élevage, ces espaces d’altitude font la part belle aux systèmes herbagers, puisque 8 exploitations sur 10 valorisent les prairies. L’orientationdesproductionsesten revanche sensiblement différente en fonction des massifs : élevage laitier dominant pour le Jura, les Alpes du Nord, les Vosges ; élevage allaitant pour les Pyrénées, les Alpes du Sud, la Corse ; le Massif central formant un bassin allaitant important tout en conservant des productions laitières spécifiques. Surtout, ces zones se caractérisent par des structures de taille plus réduite que la moyenne nationale, malgré des systèmes d’élevage extensifs, un certain renouvellement générationnel, un cadre familial, une diminution moins rapide du nombre d’actifs agricoles qu’en zone de plaine, et une pluriactivité des exploitants importante en zone de haute montagne. Ces caractéristiques contribuent très souvent à faire de l’agriculture de montagne une vitrine de l’agriculture française, contribuant d’ailleurs très fortement aux volumes et à la diversité des produits sous signes de qualité et aux appellations d’origine (AOC-AOP, IGP). 

CONSÉQUENCES SUR L’ÉCONOMIE LAITIÈRE 

L’élevage de montagne, dans sa diversité, est aujourd’hui directement menacé par l’approfondissement des politiques d’ouverture des marchés, avec l’abandon par la politique agricole commune des derniers outils de gestion et d’intervention sur les volumes et les prix.
On pense spécifiquement à la sortie des quotas laitiers, effective depuis le 1
er avril 2015 (voir article de Marie-Noëlle Bertrand). Ceux-ci assuraient, malgré des imperfections, une certaine équité de traitement dans les redistributions entre producteurs et une répartition des besoins en lait des industriels sur l’ensemble du territoire, protégeant la collecte laitière dans les zones défavorisées et de montagne. Si le démantèlement des quotas laitiers contribue à accélérer la concentration territoriale de la production laitière, son impact risque d’être encore plus lourd pour les zones de montagne, qui ne pourront pas faire face, du fait de leurs contraintes spécifiques, à une mise en concurrence accrue et à une pression toujours plus forte à la baisse des prix d’achat. 

Bien entendu, la valorisation laitière de montagne par l’intermédiaire des productions sous AOP-IGP constitue un levier pour faire face à ces choix de libéralisation et au maintien d’une collecte laitière, mais faut-il encore le rappeler ? seuls 30 % du lait produit en zone de montagne est valorisé sous appellations. Ajoutons que, à l’exception de quelques AOP en pointe dans la structuration de leur filière, l’immense majorité des exploitations laitières de montagne ne livre pas exclusivement du lait valorisé sous signe de qualité et/ou d’origine. 

Contrairement aux idées reçues, l’économie laitière de montagne est donc loin d’être à l’abri des choix libéraux. Elle peut en être, au contraire, une des premières victimes. 

ET LA VIANDE ? 

Le secteur de la viande a, quant à lui, une véritable épée de Damoclès audessus de la tête du fait de la multiplication des accords de libre-échange négociés par les commissaires européens. Nous faisons référence, bien entendu, au projet d’accord transatlantique ( TIPP, ou TAFTA), mais aussi aux accords ou projets d’accords, moins connus, avec le Canada et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, Venezuela). Clairement, la viande bovine du Massif central est mise en concurrence directe avec les productions canadiennes, sud-américaines et bientôt états-uniennes, alors que tout sépare l’élevage intensif de ces pays des conditions de production de nos zones de montagne. 

Nous parlons ici de plusieurs dizaines, voire centaines de milliers de tonnes de viande bovine qui entreront demain en Europe, sans droits de douane, et exerceront de puissants effets de déstructuration des marchés et de baisse des prix d’achat. À l’instar de l’effondrement de la production ovine française et de montagne ces trente dernières années, tout porte à penser que le même cocktail, fait d’ouverture des marchés et de mise en concurrence de systèmes de production très différents, produira les mêmes effets sur l’élevage bovin allaitant de montagne. 

L’AVENIR, C’EST LA MALBOUFFE ? 

Le fait est que, derrière le miroir du « verdissement » de sa politique agricole et du soutien spécifique aux ones défavorisées, l’UE poursuit à marche forcée la libéralisation de son secteur agricole. Les effets des grandes orientations politiques de la nouvelle PAC sont bien plus puissants sur les agricultures de montagne et de piémont que l’évolution des mesures compensatrices ciblées sur ces territoires. 

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La viande produite dans nos montagnes sera désormais en concurrence directe avec celles du monde entier.

Quand on connaît la fragilité des structures concernées de ces zones et le rôle indispensable de politiques publiques protectrices pour y maintenir les exploitations présentes, on ne peut qu’être consterné par l’absence de volonté politique de contrecarrer cet abandon programmé des agricultures de montagne. D’autant plus que, dans le même temps, le discours politique porté en France ne cesse d’afficher les vertus de l’agroécologie et du besoin de changer de modèle agricole en favorisant la relocalisation et la qualité des productions. Comment ne pas y voir une contradiction politique évidente quand on s’accorde pour transporter sur des milliers de kilomètres des dizaines de milliers de tonnes de bœuf, produites dans des parcs d’engraissement industriels, au détriment direct de productions sur des surfaces herbagères, issues de races à viande de très grande qualité, de fermes familiales, garantes du maintien d’une économie rurale sur des territoires fragiles ? 

Quant au maintien de « lignes rouges » à ne pas dépasser concernant la protection des appellations d’origine et indications géographiques, il est bien loin d’être garanti. Et il ne suffira pas, de toute façon, à protéger la majorité des structures agricoles concernées en zones défavorisées. 

LES DÉFIS D’UN NOUVEAU MODÈLE AGRICOLE ET ALIMENTAIRE

Un tel suivisme des dogmes libéraux appliqués au secteur agricole n’est pas seulement dangereux pour l’avenir de l’élevage de montagne ; il prouve aussi combien le défi est grand pour parvenir à une réorientation de notre modèle agricole et alimentaire. La réponse aux besoins exprimés par 500 millions d’Européens passe par une alimentation relocalisée, saine, de qualité, répondant aux exigences environnementales et permettant aux producteurs de vivre de leur activité sur leur territoire avec des prix d’achat garantis. 

En somme, nous venons d’énoncer les atouts sociaux, économiques et environnementaux que porte encore l’agriculture de montagne, véritable modèle en actes, mais qui ne semble pas intéresser les tenants de l’agrobusiness et de la financiarisation de l’agriculture. 

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