Revenir aux fondements des idées racistes : mieux les comprendre pour mieux les combattre. Axel Kahn nous aide à poser un regard historique et scientifique sur le racisme.
*Axel Kahn est mĂ©decin, directeur de recherche Ă lâINSERM, membre du ComitĂ© consultatif national dâĂ©thique.
Lâhomme moderne semble avoir colonisĂ© peu Ă peu la planĂšte Ă partir dâun petit groupe qui a commencĂ© de quitter lâAfrique il y a moins dâune centaine de milliers dâannĂ©es. Ces hommes, Ă©tablis en diffĂ©rentes rĂ©gions du globe, ont parfois Ă©tĂ© confrontĂ©s Ă des populations autochtones antĂ©rieures (par exemple les nĂ©andertaliens en Europe). Localement, ils se sont, au cours du temps, plus ou moins diffĂ©renciĂ© les uns des autres, formant des groupes physiquement reconnaissables, des ethnies⊠on devait dire, un jour, « des races ».
LES FONDEMENTS DU RACISME

Race et racisme sont deux mots de mĂȘme origine. On appelle « race » lâensemble des individus dâune mĂȘme espĂšce qui sont rĂ©unis par des caractĂšres communs hĂ©rĂ©ditaires. Le racisme est la thĂ©orie de la hiĂ©rarchie des races humaines, thĂ©orie qui Ă©tablit en gĂ©nĂ©ral la nĂ©cessitĂ© de prĂ©server la puretĂ© dâune race supĂ©rieure de tout croisement, et qui conclut Ă son droit de dominer les autres. Si on sâen tient Ă ces dĂ©finitions, tout semble clair et facile. Puisque le racisme est dĂ©fini par les races, il suffit de dĂ©montrer que les races nâexistent pas pour ĂŽter toute substance au racisme. Cependant, les choses sont loin dâĂȘtre aussi simples. En effet, le racisme sâest structurĂ© en idĂ©ologie Ă partir de la fin du XVIIIe siĂšcle, câest-Ă -dire, pour paraphraser Georges Canguilhem, en une croyance lorgnant du cĂŽtĂ© dâune science pour sâen arroger le prestige. Le racisme possĂšde un fondement qui nâest pas issu des progrĂšs de la biologie. Tout dĂ©bute par des prĂ©jugĂ©s, et lorsque le racisme aura Ă©tĂ© dĂ©barrassĂ© de ses oripeaux scientifiques on peut craindre que ceux-ci ne persistent. Or ils sont autrement difficiles Ă combattre.
Les races humaines nâexistent pas, au sens que lâon donne au mot « race » lorsque lâon parle de races animales. Un Ă©pagneul breton et un berger allemand appartiennent, par exemple, Ă deux races diffĂ©rentes qui obĂ©issent peu ou prou aux mĂȘmes caractĂ©ristiques, Ă lâinstar des variĂ©tĂ©s vĂ©gĂ©tales : distinction, homogĂ©nĂ©itĂ©, stabilitĂ©. En lâabsence de croisement entre ces races, les similitudes intraraciales lâemportent de loin sur les ressemblances entre deux individus de races diffĂ©rentes. Rien de tout cela ne sâapplique aux populations humaines. Ainsi, on constate du nord au sud une augmentation continue de la pigmentation cutanĂ©e : les peaux trĂšs blanches en Scandinavie foncent graduellement pour en arriver Ă la couleur la plus sombre en zones Ă©quatoriales et subĂ©quatoriales.
Certains ont proposĂ© que la sĂ©lection des peaux claires dans les rĂ©gions les moins ensoleillĂ©es ait permis dâamĂ©liorer la synthĂšse cutanĂ©e de la vitamine D, facteur antirachitique essentiel, normalement stimulĂ©e par la lumiĂšre. Ă lâinverse, la richesse cutanĂ©e en mĂ©lanine a Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©e dans les pays soumis Ă lâardeur du soleil car elle protĂšge des brĂ»lures et des cancers cutanĂ©s.
CE QUI EST RACISTE ET CE QUI NE LâEST PAS
Un prĂ©jugĂ© raciste peut ĂȘtre dĂ©fini comme la tendance Ă attribuer un ensemble de caractĂ©ristiques pĂ©joratives, transmises hĂ©rĂ©ditairement, Ă un groupe dâindividus. Des affirmations telles que « tous les Juifs sont avares, tous les Irlandais sont violents, tous les Corses sont paresseux » sont des exemples typiques dâaffirmations racistes. En revanche, toute indication dâune diffĂ©rence physique, physiologique entre populations nâa Ă©videmment rien de raciste : dire que les SuĂ©dois sont plus grands que les PygmĂ©es ou que les Africains noirs pourraient avoir des dons particuliers pour la course Ă pied sont des remarques dĂ©nuĂ©es de toute connotation nĂ©gative et qui reflĂštent la rĂ©elle diversitĂ© humaine. Il se trouve parfois dans la presse des discours irrĂ©flĂ©chis oĂč est taxĂ©e de raciste une Ă©tude notant que le chiffre normal des globules rouges et la durĂ©e de la grossesse sont lĂ©gĂšrement diffĂ©rents entre des populations dâorigine africaine et, par exemple, europĂ©enne. Ces paramĂštres ne prĂ©jugeant en rien des capacitĂ©s les plus spĂ©cifiquement humaines, de lâordre de la crĂ©ativitĂ© et de la dignitĂ©, leur Ă©tude ne peut dâaucune maniĂšre ĂȘtre diabolisĂ©e comme Ă©tant dâessence raciste.
HISTOIRE DU RACISME
Des discours racistes apparaissent dĂšs lâAntiquitĂ©, y compris chez Aristote. Ce dernier Ă©tablit des diffĂ©rences intrinsĂšques de comportement et de qualitĂ©s entre les peuples ; selon lui, les EuropĂ©ens sont courageux mais un peu sots, les Asiatiques trĂšs intelligents mais manquent de courage, et les HellĂšnes, placĂ©s gĂ©ographiquement au milieu, combinent les avantages des uns et des autres : ils sont intelligents et courageux. Le philosophe ajoute que les esclaves sont des « choses animĂ©es », et il introduit la notion dâesclaves par nature. Cependant, et lĂ rĂ©side lâambiguĂŻtĂ© qui empĂȘche de ranger dĂ©finitivement les Grecs dans le camp des protoracistes, les esclaves peuvent ĂȘtre affranchis⊠et accĂšdent alors de plein droit Ă lâhumanitĂ©.
Ă Rome, le discours change. CicĂ©ron Ă©crit : « Il nâest de race qui, guidĂ©e par la raison, ne puisse parvenir Ă la vertu. » Dans la foulĂ©e de lâimpĂ©rialisme romain, les premiers siĂšcles de la chrĂ©tientĂ© sont exempts de racisme, car sây trouvent combinĂ©s lâuniversalisme du messianisme chrĂ©tien sâexprimant dans la parole de saint Paul et le souvenir de lâEmpire romain, creuset de peuples et dâethnies diffĂ©rents.

Dans lâOccident chrĂ©tien, le racisme rĂ©apparaĂźt et se dĂ©veloppe plusieurs siĂšcles avant lâapparition du concept scientifique de race, Ă partir de lâan 1000, autour des cristallisations religieuses, lâanti-islamisme et, surtout, lâantijudaĂŻsme. Au XIIesiĂšcle, en pleine querelle des Investitures, Anaclet II, lâantipape Ă©lu, a un ancĂȘtre juif. La campagne virulente du camp romain contre cet antipape sâappuie sur ses origines « maudites » souillant tout son lignage. LâantijudaĂŻsme virulent de Saint Louis flirte avec lâantisĂ©mitisme. Dans lâEspagne chrĂ©tienne, câest un antisĂ©mitisme cette fois structurĂ© qui se manifeste, puisque les juifs convertis sont interdits dâaccĂšs aux fonctions publiques, au mĂ©tier des armes, etc. Il est dĂ©crĂ©tĂ© que ces individus doivent ĂȘtre Ă©cartĂ©s parce que lâinfamie de leur pĂšre les accompagnera toujours. La notion dâhĂ©rĂ©ditĂ© dâune infĂ©rioritĂ©, dâun opprobre, qui constitue une base essentielle du racisme, est donc ici manifeste.
Câest dans ce contexte que prend place un Ă©pisode dĂ©cisif, souvent prĂ©sentĂ© comme un succĂšs de la civilisation alors quâil sâagit dâun drame effroyable : la dĂ©couverte de lâAmĂ©rique par Christophe Colomb. Ă cette occasion sâaccomplit lâun des premiers gĂ©nocides de lâhistoire du monde. En 1492, Christophe Colomb dĂ©barque Ă Â Hispaniola (HaĂŻti, Saint-Domingue), une Ăźle alors peuplĂ©e de 3 millions de TaĂŻnos. Trois ans aprĂšs, il ne reste dĂ©jĂ plus que 1 million dâIndiens ; soixante ans aprĂšs, ils ne seront plus que 200, qui disparaĂźtront rapidement.
Tous les ingrĂ©dients du racisme tel quâil sâest manifestĂ© depuis, y compris dans les univers concentrationnaires, sont ici rĂ©unis. Les Indiens sont parquĂ©s et mis au travail forcĂ©, les enfants sont tuĂ©s, les femmes enceintes sont Ă©ventrĂ©es. Dans cette misĂšre extrĂȘme, les femmes nâont plus dâenfants, voire, pour Ă©chapper Ă leur malheur, se suicident en masse.
Ă partir de 1519, dâĂąpres dĂ©bats thĂ©ologiques opposent BartolomĂ© de Las Casas, qui est entre-temps devenu dominicain, Ă diffĂ©rents autres ecclĂ©siastiques. La confrontation la plus connue est la controverse de Valladolid, en 1550, qui aboutit Ă la conclusion, acquise de justesse, que les Indiens ne sont pas de nature diffĂ©rente des autres hommes. On continue malgrĂ© tout Ă les massacrer, et lâAmĂ©rique, qui comptait 80 millions dâaborigĂšnes aux temps prĂ©colombiens, nâa plus que 8 millions dâhabitants quatre vingts ans aprĂšs sa « dĂ©couverte » par Christophe Colomb. Par la suite, les Indiens ayant Ă©tĂ© massacrĂ©s et dĂ©cimĂ©s, se pose le problĂšme de la main dâĆuvre dans les colonies amĂ©ricaines. Cette question devient cruciale lorsque sây dĂ©veloppe la culture de la canne Ă sucre, conduisant le Portugal, puis la France et lâAngleterre, Ă dĂ©velopper le commerce trilatĂ©ral et la traite des Noirs.
Depuis le Moyen Ăge jusquâau XVIIIe siĂšcle, entre la naissance de lâantisĂ©mitisme chrĂ©tien, la conquĂȘte de lâAmĂ©rique et la traite des esclaves noirs, ce sont donc tous les ingrĂ©dients du racisme qui se mettent en place, tous ses crimes qui commencent dâĂȘtre perpĂ©trĂ©s.
LâIDĂOLOGIE RACISTE
Le concept scientifique de race nâapparaĂźt quâau XVIIIe siĂšcle. Il est perceptible sous la plume de Carl von LinnĂ©, dont la classification systĂ©matique des ĂȘtres vivants sâĂ©tend aux hommes rangĂ©s en cinq catĂ©gories⊠qui deviendront des races : les «monstrueux » (câest-Ă -dire les personnes atteintes de malformation, que LinnĂ© assimile Ă une race Ă part entiĂšre), les Africains, les EuropĂ©ens, les AmĂ©ricains et les Asiatiques. Ă chacune de ces catĂ©gories il attribue des caractĂ©ristiques et des qualitĂ©s comportementales, les plus flatteuses Ă©tant naturellement rĂ©servĂ©es aux EuropĂ©ens.
Avant le XVIIIe siĂšcle, le mot « race» est surtout utilisĂ© dans le sens de lignage aristocratique : on parle dâenfants de bonne race, de bon lignage⊠un peu comme de chevaux de bonne race.
Câest Ă partir de la fin du XVIIIe siĂšcle, et surtout au XIXe, que lâon assiste Ă la structuration des prĂ©jugĂ©s protoracistes en idĂ©ologie par agrĂ©gation successive des progrĂšs scientifiques, principalement la thĂ©orie de lâĂ©volution. Câest Ă cette mĂȘme Ă©poque quâapparaissent les deux grandes thĂšses opposĂ©es sur lâorigine de lâhomme : produit de lâĂ©volution ou crĂ©ature, est-il apparu une fois â les hommes actuels Ă©tant tous les descendants de cet ancĂȘtre (monogĂ©nisme) â ou plusieurs fois de façons sĂ©parĂ©es et indĂ©pendantes â les diffĂ©rents groupes ethniques ayant alors des ancĂȘtres diffĂ©rents (polygĂ©nisme) ? Naturellement, câest cette derniĂšre hypothĂšse que privilĂ©gient les doctrinaires du racisme. Le polygĂ©nisme sera la thĂšse privilĂ©giĂ©e par les crĂ©ationnistes esclavagistes amĂ©ricains jusquâĂ la fin du XIXe siĂšcle.
Le mĂ©canisme de la sĂ©lection naturelle comme moteur de lâĂ©volution, proposĂ© par Charles Darwin, et surtout la lecture quâen fait le philosophe anglais Herbert Spencer, contemporain de Darwin, puis lâAllemand Ernst Haeckel vont modifier en profondeur la forme de lâidĂ©ologie raciste. En effet, le mĂ©canisme de lâĂ©volution, la lutte pour la vie pour Darwin, devient, sous lâinfluence de Spencer, la survivance du plus apte. AppliquĂ©e aux civilisations, cette notion peut constituer une justification a posteriori de la domination des vainqueurs, qui sont bien entendu les plus aptes, puisquâils lâont emportĂ©. Un tel raisonnement tautologique sâest rĂ©vĂ©lĂ© dâune redoutable efficacité à lâappui des thĂšses racistes. Ă vrai dire, il serait profondĂ©ment injuste de faire porter Ă Charles Darwin, un des plus grands scientifiques qui ait jamais existĂ©, la responsabilitĂ© personnelle des dĂ©rives idĂ©ologiques dont ses travaux ont fait lâobjet et ont Ă©tĂ© victimes, car il a toujours rĂ©cusĂ© lâinterprĂ©tation eugĂ©niste et sociale des mĂ©canismes de lâĂ©volution quâil avait mis au jour.
Les lois de la gĂ©nĂ©tique, câest Ă dire les rĂšgles gouvernant la transmission des caractĂšres hĂ©rĂ©ditaires, Ă©noncĂ©es initialement par le moine Gregor Mendel en 1865, redĂ©couvertes au dĂ©but du XXe siĂšcle par des botanistes europĂ©ens et dĂ©veloppĂ©es par lâĂtats-Unien Thomas H. Morgan, auront alors une influence considĂ©rable sur la biologie et, plus gĂ©nĂ©ralement, sur lâĂ©volution sociale et politique des pays. On assiste en effet Ă la tragique synthĂšse entre le racisme, thĂ©orie de lâinĂ©galitĂ© des races ; le dĂ©terminisme gĂ©nĂ©tique, qui considĂšre que les gĂšnes gouvernent toutes les qualitĂ©s des ĂȘtres, notamment les qualitĂ©s morales et les capacitĂ©s mentales des hommes; et lâeugĂ©nisme, qui se fixe pour but lâamĂ©lioration des lignages humains. Sous lâinfluence de la gĂ©nĂ©tique, le dessein eugĂ©nique devient lâamĂ©lioration gĂ©nĂ©tique de lâhomme, la sĂ©lection des bons gĂšnes et lâĂ©limination des mauvais gĂšnes qui gouvernent lâessence des personnes et des races. LâAllemagne nazie poussera cette logique jusquâĂ lâĂ©limination des races « infĂ©rieures », censĂ©es porter et dissĂ©miner de mauvais gĂšnes.
LES RACISTES ET LE QUOTIENT INTELLECTUEL
Les prĂ©jugĂ©s racistes sont loin dâavoir disparu aprĂšs le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale. La conviction que le quotient intellectuel moyen est diffĂ©rent selon les ethnies Ă©tait alors partagĂ©e par une grande majoritĂ© des Ă©lites scientifiques, du Français Paul Broca aux anthropologues Ă©tats-uniens consultĂ©s pour lâĂ©laboration de lâImmigration Restriction Act de 1924, qui limitait sĂ©vĂšrement lâentrĂ©e aux Ătats-Unis des ressortissants issus de pays oĂč, selon les psychomĂ©triciens consultĂ©s, sĂ©vissait la dĂ©bilitĂ©. Plus prĂšs de nous, les sociologues Charles Murray et Richard J. Herrenstein en 1994, puis encore Bruce Lahn et ses collĂšgues en 2005, enfourchent la mĂȘme monture idĂ©ologique. En fait, un examen soigneux de tous ces travaux, mĂȘme les plus rĂ©cents, en dĂ©montre la faiblesse et les erreurs, parfois grossiĂšres, Ă lâĂ©vidence motivĂ©s par des prĂ©supposĂ©s idĂ©ologiques.
GĂNOMES ET RACISME
Câest en 2001 que fut publiĂ©e la premiĂšre sĂ©quence presque complĂšte du gĂ©nome humain, trĂšs affinĂ©e depuis. Les humains possĂšdent environ 22000 gĂšnes qui ne diffĂ©rent que trĂšs peu dâune personne Ă lâautre. Lâalphabet gĂ©nĂ©tique est composĂ© de quatre lettres : A, C, G et T, disposĂ©es en un long enchaĂźnement de 3,2 milliards de signes hĂ©ritĂ©s de chacun de nos parents. Or cet enchaĂźnement ne varie quâune fois sur dix mille entre des hommes ou des femmes issus dâAfrique, dâAsie ou dâEurope.
La trĂšs grande ressemblance entre les gĂ©nomes de personnes issues dâethnies diffĂ©rentes, originaires de rĂ©gions Ă©loignĂ©es les unes des autres de plusieurs milliers de kilomĂštres, a semblĂ© rassurante : câest lĂ la preuve, a-t-on affirmĂ© alors, que les races nâexistent pas et que le racisme nâa donc plus aucune justification possible, quâil est appelĂ©, espĂšre-t-on, Ă disparaĂźtre bientĂŽt. HĂ©las, je crains quâon ne soit allĂ© bien vite en besogne, par ignorance ou sous lâinfluence de prĂ©supposĂ©s idĂ©ologiques. En fait, il faut revenir au mode dâaction des gĂšnes, câest-Ă -dire au mĂ©canisme par lequel ils influencent les propriĂ©tĂ©s des ĂȘtres vivants, qui est combinatoire, Ă la maniĂšre dont câest la combinaison des mots qui donne sens Ă la phrase ou au texte. Or ce nâest pas le nombre de mots utilisĂ©s qui fait la qualitĂ© littĂ©raire dâun texte, de mĂȘme que ce nâest pas le nombre de gĂšnes qui explique lâĂ©tendue des potentialitĂ©s humaines. Câest Ă dessein que jâutilise ici le terme de « potentialitĂ© », car la combinaison des gĂšnes ne gouverne que la possibilitĂ© pour une personne dâĂȘtre Ă©duquĂ©e au contact dâune communautĂ© de semblables.
IsolĂ©, Ă©levĂ© par des animaux, le petit dâhomme Ă©voluera vers ces enfants sauvages dont de nombreux exemples ont Ă©tĂ© dĂ©crits dans lâhistoire, incapables dâatteindre les capacitĂ©s mentales caractĂ©ristiques de lâespĂšce humaine.
Lâeffet combinatoire des gĂšnes explique que de petites diffĂ©rences gĂ©nĂ©tiques puissent avoir de considĂ©rables consĂ©quences sur les ĂȘtres, comme en tĂ©moignent les aspects et capacitĂ©s bien distincts des hommes et des chimpanzĂ©s, dont les gĂšnes sont pourtant Ă 98,4 % identiques. Câest pourquoi aussi la grande homogĂ©nĂ©itĂ© gĂ©nĂ©tique des hommes du monde entier, confirmĂ©e par lâĂ©tude du gĂ©nome, nâest pas suffisante pour conjurer la menace dâun dĂ©voiement raciste de la biologie, pour deux ordres de raisons : les maladies avec retard mental tĂ©moignent que la mutation dâune seule des plus de trois milliards de lettres de lâalphabet gĂ©nĂ©tique suffit Ă altĂ©rer les fonctions cognitives ; de trĂšs lĂ©gĂšres diffĂ©rences dans le gĂ©nome des personnes pourraient de la sorte avoir chez elles dâimportantes consĂ©quences. Dâautre part, lâaffirmation que le racisme est illĂ©gitime parce que, sur le plan biologique, et en particulier gĂ©nĂ©tique, les races nâexistent pas revient Ă admettre que si les sĂ©quences gĂ©nĂ©tiques diffĂ©raient statistiquement entre les ethnies le racisme serait peut-ĂȘtre recevable. Or, bien sĂ»r, puisquâon peut distinguer les gens en fonction de leurs caractĂ©ristiques physiques â couleur de la peau, aspect de la chevelure, etc. â, on le peut aussi Ă partir de lâADN qui code toutes ces caractĂ©ristiques. LĂ ne rĂ©side, en fait, ni lâorigine du racisme ni la justification de lâantiracisme.
LE RACISME PEUT SE PASSER DES RACES
Lorsque lâon aura expliquĂ© Ă des gens habitĂ©s par des prĂ©jugĂ©s racistes que les races humaines nâexistent pas au sens oĂč lâon parle de races animales distinctes, peut-ĂȘtre seront-ils impressionnĂ©s et convaincus. Pourtant,  cette dĂ©monstration risque bien dâĂȘtre insuffisante, car dĂ©connectĂ©e du vĂ©cu des gens ordinaires qui, eux, nâont pas de difficultĂ© Ă reconnaĂźtre, dans la rue, des Jaunes, des Blancs, des Noirs, des MĂ©diterranĂ©ens bruns et des Scandinaves blonds. Par ailleurs, la rĂ©futation scientifique de la rĂ©alitĂ© des races ne prend pas en compte les trĂšs frĂ©quentes racines socioĂ©conomiques dâun racisme qui est souvent le reflet du mal-ĂȘtre et du mal vivre, par exemple au sein des populations dĂ©favorisĂ©es de grandes villes.
Paradoxalement, il nây a que peu de rapports entre la rĂ©alitĂ© des races et celle du racisme.

Chacun peut en effet observer que les pires excĂšs racistes sâaccommodent fort bien de la non existence des races humaines. En ex-Yougoslavie, les plus effroyables comportements de type raciste ont opposĂ© les Slaves du Sud, les uns convertis au catholicisme (les Croates), les autres Ă lâislam (les Bosniaques), et les derniers Ă la religion orthodoxe (les Serbes).
Dans le discours des racistes modernes, ce ne sont souvent plus les races qui sont dĂ©clarĂ©es incompatibles ou inĂ©gales, ce sont les coutumes, les croyances et les civilisations. Câest un choc des cultures. Ce qui est rejetĂ©, ce nâest plus tellement lâhomme noir, blanc ou jaune, ce sont ses prĂ©parations culinaires, ses odeurs, ses cultes, ses sonoritĂ©s, ses habitudes.
Souvent, la montĂ©e en puissance de lâuniformisation culturelle et lâimposition des standards occidentaux accompagnant la mondialisation Ă©conomique entraĂźnent, en rĂ©action, une tendance au repli communautaire. Il sâagit lĂ dâun rĂ©flexe de protection contre une civilisation opulente et dominatrice dont on ressent la double menace, celle de lâexclusion et de la dĂ©possession de ses racines.
Or il y a dans cette forme de communautarisme exclusif une tendance qui mâapparaĂźt non humaine. Ce qui caractĂ©rise, en effet, les civilisations et leur Ă©volution, ce sont les Ă©changes culturels et les emprunts qui, Ă lâopposĂ© de lâuniformisation imposĂ©e par une culture dominante, crĂ©ent de la diversitĂ© et ouvrent de nouveaux espaces au dĂ©veloppement de lâesprit humain. Les PhĂ©niciens subissent lâinfluence des Hittites, des Assyriens, des Babyloniens, qui Ă©changent avec lâĂgypte, avec la GrĂšce. Les Ătrusques, nourris des arts et techniques grecs et phĂ©niciens, sont Ă lâorigine de la culture romaine. Plus prĂšs de nous, la musique des esclaves noirs des Ătats-Unis sera Ă lâorigine du jazz et dâautres courants majeurs de la musique moderne, lâ« art nĂšgre » fĂ©condera la peinture et les arts plastiques occidentaux, et les conduira en particulier au cubisme. Le progrĂšs des sociĂ©tĂ©s humaines est toujours passĂ© par le mĂ©tissage culturel.
Ă lâinverse, les races animales nâĂ©changent guĂšre leurs habitudes, elles conservent leurs particularitĂ©s Ă©thologiques qui nâĂ©voluent, pour lâessentiel, que sous lâeffet de variations gĂ©nĂ©tiques et Ă©cologiques. La diversitĂ© humaine nâest donc facteur dâenrichissement mutuel que si elle est associĂ©e Ă lâĂ©change. LâuniformitĂ© a le mĂȘme effet que le repli sur soi : dans les deux cas, le dialogue est stĂ©rilisĂ© et la civilisation dĂ©pĂ©rit.
UN ENGAGEMENT ANTIRACISTE
Au total, la biologie et la gĂ©nĂ©tique modernes ne confirment en rien les prĂ©jugĂ©s racistes, et il est certainement de la responsabilitĂ© des scientifiques de rĂ©futer les thĂšses biologisantes encore trop souvent appelĂ©es Ă leur rescousse. Cela est relativement aisĂ©, mais Ă lâĂ©vidence insuffisant, tant il apparaĂźt que le racisme nâa pas besoin de la rĂ©alitĂ© biologique des races pour sĂ©vir.
Ă lâinverse, ce serait un contresens de vouloir fonder lâengagement antiraciste sur la science. Il nâexiste en effet pas de dĂ©finition scientifique de la dignitĂ© humaine, il sâagit lĂ dâun concept philosophique. Aussi le combat antiraciste, en faveur de la reconnaissance de lâĂ©gale dignitĂ© de tous les hommes, au-delĂ de leur diversitĂ©, est-il avant tout de nature morale, reflet dâune conviction profonde qui nâest Ă©videmment en rien lâapanage exclusif du scientifique.
Depuis le Moyen Ăge jusquâau XVIIIe siĂšcle, entre la naissance de lâantisĂ©mitisme chrĂ©tien, la conquĂȘte de lâAmĂ©rique et la traite des esclaves noirs, ce sont donc tous les ingrĂ©dients du racisme qui se mettent en place, tous ses crimes qui commencent dâĂȘtre perpĂ©trĂ©s.
Le racisme sâest structurĂ© en idĂ©ologie Ă partir de la fin du XVIIIe siĂšcle, en une croyance lorgnant du cĂŽtĂ© dâune science pour sâen arroger le prestige. Le racisme possĂšde un fondement qui nâest pas issu des progrĂšs de la biologie.
Un prĂ©jugĂ© raciste peut ĂȘtre dĂ©fini comme la tendance Ă attribuer un ensemble de caractĂ©ristiques pĂ©joratives, transmises hĂ©rĂ©ditairement, Ă un groupe dâindividus, telles que « tous les Juifs sont avares ». En revanche, toute indication dâune diffĂ©rence physique, physiologique entre populations nâa Ă©videmment rien de raciste.
Au dĂ©but du XXe siĂšcle, on assiste en effet Ă la tragique synthĂšse entre le racisme, thĂ©orie de lâinĂ©galitĂ© des races ; le dĂ©terminisme gĂ©nĂ©tique, qui considĂšre que les gĂšnes gouvernent toutes les qualitĂ©s des ĂȘtres, notamment les qualitĂ©s morales et les capacitĂ©s mentales des hommes ; et lâeugĂ©nisme, qui se fixe pour but  lâamĂ©lioration des lignages humains.
La rĂ©futation scientifique de la rĂ©alitĂ© des races ne prend pas en compte les trĂšs frĂ©quentes racines socio-Ă©conomiques dâun racisme qui est souvent le reflet du mal-ĂȘtre et du mal vivre, par exemple au sein des populations dĂ©favorisĂ©es de grandes villes. Paradoxalement, il nây a que peu de rapports entre la rĂ©alitĂ© des races et celle du racisme.
Ayant passĂ© ma carriĂšre a Ă©tablir des « structurations gĂ©nĂ©tiques » sur plusieurs espĂšces j’aurais une proposition Ă vous faire: Pourquoi ne pas faire un ouvrage et des confĂ©rences (uniquement sur des caractĂšres scientifiques) sur « la richesse de la variabilitĂ© gĂ©nĂ©tique » et ce qu’elle apporte Ă la nature ou un ouvrage pour les nuls « La variabilitĂ© gĂ©nĂ©tique pour les nuls ». De cette façon on pourrait parler positivement de pas mal de sujets uniquement sur le plan scientifique Ă©voquĂ© dans cet article. Je suis entiĂšrement d’accord avec votre point de vue idĂ©ologique, mais pas tout Ă fait avec la façon dont vous prĂ©sentez la partie scientifique, tout en comprenant votre position. TrĂšs amicalement M. Tersac.