Promouvoir une argiculture productiveet durable, Gérard Le Puill*

Réussir à diminuer l’utilisation des pesticides, d’engrais et d’énergie, tout en maintenant une agriculture suffisamment productive pour nourrir l’humanité. Vaste défi.

*Gérard Le Puill est journaliste et auteur. Dernier ouvrage paru : Produire mieux pour manger tous d’ici 2050 et bien après, Pascal Galodé éditeurs, Saint-Malo, 2013

En production agricole aussi l’économie circulaire va devoir se déployer en grand si nous voulons assurer l’alimentation quotidienne de 9 milliards d’humains à l’horizon 2050 et après.

UNE PRATIQUE ANCIENNE 

Des siècles durant, les paysans, et parmi eux les paysans français, ont pratiqué l’économie circulaire de manière empirique. En avance sur leur temps, des pionniers expérimentent avec succès les nouvelles possibilités qu’offre la recherche agronomique pour faire travailler la nature de manière intelligente. Jadis, les fermes en polyculture et élevage produisaient du fumier pour fertiliser les terres : la vache donnait du lait et un veau chaque année, donc de la viande ; la brebis aussi, en plus de la laine, tissée à la ferme ou vendue pour l’industrie. Quant aux végétaux, on ne cultivait pas que des espèces comestibles. Le chanvre avait de multiples usages et le bois d’élagage était le principal combustible jusqu’au milieu du XXe siècle. Même la balle d’avoine était récupérée au cul de la batteuse pour garnir les édredons.

Dans la seconde partie du XXe siècle, la sélection génétique des animaux et des plantes, la mécanisation rendue possible grâce au pétrole abondant, le recours massif aux engrais chimiques ont grandement contribué à augmenter les rendements agricoles, réduisant la main-d’oeuvre dans des fermes qui augmentaient de superficie.

Dans le même temps, la mise en place du Marché commun agricole en Europe a ouvert de nouveaux débouchés à l’agriculture française, la plupart des fermes se spécialisant dans une ou deux productions. L’élevage a été abandonné dans les plaines de grandes cultures, et les éleveurs ont cultivé de moins en moins de céréales et de plantes potagères pour nourrir leur bétail. À une exception près : inexistante dans la plupart des régions jusqu’à la fin des années 1950, la culture du maïs destiné à l’ensilage a envahi les terres d’élevage. Cette plante, récoltée à un stade proche de la maturité du grain, broyée et conservée sous une bâche, constitue, après fermentation, un aliment très énergétique, mais pauvre en protéines ; ce qui a conduit la France à importer beaucoup de graines de soja, riches en protéines. Ainsi ajoute-t-on du grain au grain dans l’alimentation des ruminants, ce qui constitue une aberration.

UNE PARENTHÈSE DE 70 ANS 

En raison du réchauffement climatique en cours, ces « modèles » agricoles ultra-spécialisés montrent déjà leurs limites au bout de 70 ans. Énergivores et polluants, ils ne sont pas adaptés aux conditions générales du XXIe siècle pour assurer la sécurité alimentaire des peuples. Pour que les agricultures du monde soient en mesure de nourrir la population mondiale tout en prenant leur part dans le processus de réduction des émissions de gaz à effet de serre, elles doivent renouer avec l’économie circulaire en utilisant de manière pertinente les connaissances dont nous disposons désormais pour produire plus avec moins d’intrants.

La France reste un grand pays agricole, mais elle détruit chaque année 70 000 à 80 000 ha de terres fertiles au profit d’une urbanisation anarchique. Ce gaspillage est un crime contre les générations futures. Par ailleurs, renouer avec l’économie circulaire ne peut se faire que progressivement dans un pays où les filières de production sont allées très loin dans la spécialisation.

La France reste un grand pays agricole, mais elle détruit chaque année 70000 à 80000 ha de terres fertiles au profit d’une urbanisation anarchique
La France reste un grand pays agricole, mais elle détruit chaque année
70000 à 80000 ha de terres fertiles au profit d’une urbanisation anarchique

RÉDUIRE LES LABOURS ET LES ENGRAIS 

Concrètement, il faut, dans les zones de grandes cultures, réduire les labours et pratiquer des semis directs sous couverts végétaux. Des pionniers pratiquent de la sorte depuis près d’un quart de siècle. Ils libèrent moins de gaz à effet de serre et utilisent moins d’engrais chimiques en broyant les couverts végétaux semés en interculture entre une production qui se récolte en début d’été et une autre qui se sème en milieu d’automne, voire au printemps suivant. Certains agriculteurs sèment désormais un mélange de plusieurs variétés de blé et de plantes protéagineuses comme le pois et la féverole. Ces dernières transforment l’azote de l’air en fertilisant, ce qui améliore le rendement du blé et sa teneur en protéines. Un simple tri de récolte donne ensuite un blé de grande qualité pour l’alimentation humaine et des protéines végétales pour le bétail.

En élevage, l’ensemencement des prairies d’un mélange savant de plusieurs graminées et de légumineuses à des niveaux d’enracinement différents augmente la fertilité des sols et la productivité des pâturages sans avoir besoin d’épandre des engrais azotés… ni d’acheter du soja pour compléter la ration alimentaire des troupeaux. Même avec une production laitière par vache inférieure de 30 % à celle obtenue par la ration constituée de maïs ensilé et de tourteaux de soja, le prix de revient du litre de lait issu de cette ration à l’herbe est tellement bas que le producteur gagne mieux sa vie en produisant moins. Il est donc possible de produire de la viande, du lait et des oeufs en réduisant le bilan carbone de chacune de ces productions, dès lors que l’on modifie la ration alimentaire des animaux.

MANGER MOINS DE VIANDE 

Nous ne pourrons pas, dans un monde peuplé de 9 milliards d’habitants, maintenir une consommation de protéines animales aussi élevée qu’aujourd’hui dans les pays développés et émergents. Il faut de 4 à 12 calories d’origine végétale pour produire 1 calorie d’origine animale, et la transformation des végétaux en protéines animales est moins efficace chez les herbivores que chez les volailles et les porcs. Mais les herbivores que sont les bovins, les ovins et les caprins produisent aussi du lait, et sont très utiles pour valoriser des millions d’hectares de prairies naturelles et les parcours incultes en entretenant ces paysages. Le choix le plus pertinent est donc de consommer moins de viande et davantage de protéines végétales : pois chiches, lentilles, haricots secs, fèves et quelques autres légumes de ce type.

Nourrir la population d’un pays comme la France tout en réduisant le bilan carbone de notre bol alimentaire suppose aussi de réduire la distance entre le lieu de production et le lieu de consommation. Surtout quand il s’agit de produits bruts comme les fruits et légumes frais. Ainsi, la région Île-de-France, bassin de 11 millions de consommateurs, dispose encore de la moitié de sa superficie en terres agricoles parmi les plus fertiles du pays, mais seulement 0,5 % de cette superficie est consacrée au maraîchage. L’Île-de- France doit produire moins de céréales et renouer davantage avec les zones maraîchères et les vergers. Il y aura alors moins de camions sur les routes venant du Maroc, du sud de l’Espagne, des Pays-Bas, voire de Pologne, pour nous livrer des légumes produits sous serre. Ce qui vaut pour l’Île-de-France vaut aussi pour de nombreuses métropoles régionales.

REDÉCOUVRIR L’ARBRE NOURRICIER 

On peut enfin capter plus de carbone en produisant plus de nourriture et de bois à usages multiples si on pratique l’agroforesterie. Planter des haies et des rangées d’arbres en agroforesterie dans les plaines céréalières permet d’enrichir les sols grâce aux nutriments que les arbres vont puiser dans la roche mère, ce qui augmente à terme le rendement global d’une même parcelle. Des essais suivis depuis un quart de siècle par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) l’ont démontré. Pour séquestrer plus de carbone en produisant davantage de nourriture, il conviendrait aussi de relancer sans attendre de nouvelles plantations de châtaigniers, de noyers et d’oliviers sur des terres difficiles à cultiver. En ce début de XXIe siècle, chaque Français consomme 200 g de châtaignes par an, toutes préparations confondues, il mange 500 g de noix dans son année, et nous importons 95 % de l’huile d’olive que nous consommons. Relancer ces productions est bon pour le climat, l’économie et l’emploi.

Le 2 novembre 2014, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) faisait état de risques de pénuries alimentaires dans un proche avenir si une lutte efficace n’est pas engagée dès maintenant pour limiter le réchauffement climatique à plus 2 °C par rapport à la température moyenne du milieu du XIXe siècle. L’agroécologie peut grandement contribuer à la sécurité alimentaire. Mais il ne suffit pas de voter une loi en ce sens, comme ce fut le cas chez nous en 2014, pour obtenir des résultats. Si on continue de libéraliser les échanges sur fond de dumping social et environnemental, l’agroécologie ne disposera pas d’un cadre adéquat pour progresser en France. Si la politique de l’offre continue d’orienter la consommation alimentaire dans l’intérêt des firmes de l’agrobusiness, les changements de comportements des consommateurs en faveur de produits à faible bilan carbone seront trop lents pour gagner la course de vitesse qu’il est urgent d’engager contre le réchauffement planétaire.

BIORAFFINERIE, QUAND LES PÉTROLIERS REFUSENT DE SE RECYCLER 

Avec un cycle biogéochimique en millions d’années, omniprésent, encore de bien des manières maître de nos sociétés, le pétrole est le produit emblématique de notre insoutenable modèle d’économie linéaire. Mais pour nous libérer de la pétrochimie, il s’agit sans attendre de développer l’alternative… C’est un beau bâtiment. Brique rose et béton nu, architecture brutaliste des années 1970. Une ancienne caserne de pompiers avec son grand garage, ses bureaux et espaces de repas et de restauration, son terrain de basket- ball, sa piscine. Un espace parfait et bien situé – dans la zone du port de Gand, en Belgique – pour accueillir l’usine pilote d’une Europe « biosourcée » (Bio Based Europe Pilot Plant). Ses occupants, une quarantaine de techniciens et chercheurs, répètent volontiers que c’est à l’université de Gand qu’a été inventé de terme de biotechnologie. Et de fait, leur activité consiste à mettre au point les procédés biochimiques et biomécaniques – fermentation, décantation, étuvage, centrifugation, distillation, etc. – qui transformeront la biomasse en produits de notre vie courante. L’enjeu? Trouver des approvisionnements alternatifs pour les plastiques et produits chimiques de notre quotidien comme de nos activités industrielles. Aujourd’hui, ces produits sont issus de la chimie du pétrole ; demain, ils pourraient venir du CO2 rejeté par l’aciérie Arcelor Mittal toute proche, mais surtout des différentes matières végétales stockées dans la cour : paille, coeurs d’épis de maïs, bagasse (fibres de canne à sucre après broyage), algues, copeaux de bois, tiges et feuilles non alimentaires de toutes sortes. Des végétaux alimentaires aussi, mais rarement car il s’agit d’éviter le piège des biocarburants dits de première génération, avec leur scandaleuse alternative « carburant ou nourriture ». « Utiliser ce qui a le plus de valeur dans la plante – les huiles et les sucres – pour faire des produits de grand volume mais à basse valeur ajoutée, c’est techniquement facile, et c’est stupide. Faire des bioplastiques performants et de la chimie fine avec les parties non utilisées de nos plantes – cellulose, lignine – voilà le vrai défi », explique le professeur Soetaert, à l’origine de l’installation. Et c’est un défi qui dépasse Gand. Un peu partout en Europe et dans le monde, des équipes sont à la recherche de ces nouveaux procédés indispensables pour sortir nos sociétés de l’ère du pétrole. La France est à la traîne, qui dispose pourtant de toutes les briques utiles au développement de ces nouvelles filières industrielles : déchets agricoles, industries pétrolières, chimiques et plastiques, infrastructures de transport efficaces, énergie peu chère, chercheurs, ingénieurs et techniciens très qualifiés. Les quelques projets et entreprises français positionnés sur ces activités – Syndièse dans la Meuse, l’Institut européen de bioraffinerie près de Reims, la plate-forme bioénergies de Cadarache – peinent à sortir des seuls biocarburants, et même simplement à atteindre le stade industriel. Les pétroliers, riches à milliards et qui auraient le devoir d’engager leurs raffineries dans la transition vers ces nouvelles logiques, font tout pour étouffer ces initiatives, que les pouvoirs publics ne soutiennent que par saupoudrage, sans ambition réelle (voir les difficultés d’approvisionnement en paille de CIMV dans la Marne), alors même qu’il serait indispensable d’assurer que ces filières éclosent dans de bonnes conditions environnementales et sociales. Les chimistes ne sont que peu présents, bien moins que les Allemands de BASF ou Bayer par exemple. Ne restent alors que les agrobusiness comme les grands céréaliers ou l’industrie du sucre pour les porter, et manifestement cela ne suffit pas…

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