Low-cost : les dessous du modèle Ryanair, JOSÉ ROCAMARA

Ryanair est un modèle de régression, encourageant le dumping social grâce à un financement public, et utilisant tous les ressorts des paradis fiscaux. Un modèle qui détruit des emplois de qualité et qui piétine nos valeurs de progrès social.

L’image de Ryanair s’est fortement dégradée ces dernières années. Sa mise en examen à Aix en Provence en 2010 pour travail dissimulé y est pour beaucoup. À tel point qu’une association des entreprises Lowcost a vu le jour pour valoriser ce modèle économique et se démarquer de Ryanair. En réalité, Ryanair fait bien partie de la famille, poussant au paroxysme les méthodes employées par tous.

Quels sont les secrets de la recette du prétendu «modèle» économique de Ryanair? Qu’est-ce qui lui a permis de devenir la première compagnie Low-cost en Europe avec plus de 80 millions de passagers transportés, 303 Boeing, 180 destinations et 1600 vols quotidiens?

LE CLIENT : PIGEON CONTENT POUR L’INSTANT.

Dans une compagnie classique, le prix des billets payés par les passagers représente l’essentiel, voire la totalité du chiffre d’affaires. Certaines compagnies traditionnelles, notamment les plus importantes, ont aussi une activité de maintenance pour tiers ou, via des filiales, des offres de restauration à bord et de Handling (traitement des passagers et de l’avion au sol). Pour Ryanair, les billets payés par les clients représentent à peine 20 % de son chiffre d’affaires!

Tandis que les revenus annexes représentent 22% et les subventions 20% en 2011.

La gestion de la flotte (location, financement, vente) est “optimisée” via des filiales dans tous les paradis fiscaux d’Europe (Île de Man, Jersey, Chypre) et même dans l’État du Delaware aux USA. Sa flotte est ainsi à l’abri de toute saisie.

Divers prélèvements sur les locations, les voitures ou l’hôtel, et les revenus tirés du paiement par les employés de leur formation ou de leur uniforme, complètent le chiffre d’affaires.

LES REVENUS ANNEXES: LE DIABLE DANS LE DÉTAIL

Prenons l’exemple d’un client qui aurait pris son billet à un tarif très bas. Une surprise l’attendra: nombre de prestations non payantes dans une compagnie traditionnelle car incluses dans le prix du billet, vont lui être facturées. Réservation en ligne, carte d’embarquement, bagage en soute, boisson, génèrent des prélèvements si importants, qu’ils dépassent le prix du billet. Pour 2011, ces frais annexes ont représenté 22% du chiffre d’affaires au total !

Au point qu’un deuxième bagage à main gratuit vient d’être autorisé pour repêcher une réputation devenue désastreuse.

LES SUBVENTIONS: COMMENT VOLER AVEC L’ARGENT DU CONTRIBUABLE EUROPÉEN?

En décembre 2005, la Commission publie un texte encadrant les aides d’État pour le démarrage de certaines lignes aériennes. Le but était de désenclaver certaines régions excentrées et de leur permettre, grâce au transport aérien, de dynamiser leur économie.

Les règles sont claires et les types d’aéroports définis par l’importance de leur fréquentation.

En principe, seuls les aéroports de type C (de 1 à 5 millions de passagers) et D (moins d’un million) peuvent prétendre aux aides d’État, et les aides doivent être dégressives sur trois ans.

Et surtout, avant versement, elles doivent être notifiées à la Commission pour examen et autorisation: «Toute aide versée sans le feu vert de la Commission est réputée illégale ».

Or, aucun des grands pays desservis par Ryanair (Italie, Espagne, France), n’a respecté cette directive.

En France, aucun des vingt-cinq aéroports versant des subventions à Ryanair, n’a satisfait cette exigence, à l’exception de celui de Toulon, qui a dû battre en retraite devant le chantage pour garder sa ligne “Toulon-Londres”. Ces subventions interdites revêtent d’autres formes:

• Ristournes diverses ou gratuité sur les installations aéroportuaires (passerelles, bus) ;

• Mise à disposition gratuite de personnel par les chambres de commerce et de l’industrie (CCI)

• Rabais sur taxes d’atterrissage, de parking…

La CCI de Marseille a réussi le tour de force, pour baisser les factures des “Low-cost”, d’augmenter les tarifs appliqués aux compagnies traditionnelles. Ces pratiques ont été sanctionnées par le Conseil d’État.

• Mais surtout, des contrats de «marketing», fallacieux, sont signés avec des filiales de Ryanair, dont le but officiel est d’assurer la promotion des aéroports et des régions desservies.

Les Cours régionales des comptes, en 2008, ont établi l’illégalité de tous ces contrats et les ont requalifiés d’aides d’état déguisées. Elles ont souligné la complicité de la plupart des CCI, des Conseils Régionaux, des Conseils Généraux ou d’associations créées pour recueillir ces sommes pour Ryanair.

Le total de ces subventions représente 800 millions d’euros par an en Europe, dont cinquante millions pour la France!

Si on les soustrait du bénéfice de Ryanair, qui s’établit aux environs de 500 millions d’euros par an sur les trois derniers exercices, on s’aperçoit que Ryanair perdrait sans elles 300 millions d’euros par an.

Toutes ces subventions publiques atterrissent dans des paradis fiscaux, ce qui fait dire à des esprits chagrins que toutes les conditions seraient réunies pour une certaine opacité et pourraient même favoriser le versement de rétrocommissions.

La performance apparente du modèle n’est donc qu’un leurre. Il en est de même avec les économies réalisées grâce au non-respect de l’affectation des personnels navigants aux caisses de sécurité sociale des pays dans lesquels ils travaillent.

LE DUMPING SOCIAL : COMMENT S’ASSEOIR SUR LES LOIS

Dans toutes les compagnies aériennes «normales », ou toute entreprise, certains coûts doivent être supportés par l’employeur. Dans l’aérien, la formation, les uniformes, les hébergements, font partie intégrante des charges de l’entreprise. Ryanair transforme en recettes ce qui est un coût pour les autres. La formation (3 000 euros) est payée par le salarié, ainsi que les uniformes. Comble de la situation, Ryanair consent à des facilités de paiement en acceptant un règlement différé par des prélèvements mensuels…

De même, en multipliant les bases, les salariés n’ont pas d’hébergement, car ils sont considérés comme résidents dans le pays où la base est installée. Recettes d’un côté, économies de l’autre, représentent des dizaines de millions d’euros par an! Ryanair, qui a fait des émules, fait embaucher de plus en plus ses personnels par des boîtes d’intérim ou propose aux pilotes de se déclarer comme “travailleurs indépendants”( 60%).

Ainsi, Ryanair ne paie que les heures de vols (contrats à zéro heures), et non l’ensemble du temps de travail, économisant les congés, les arrêts maladie et les traitements fixes figurant sur les fiches de paye classiques. Et tous ces travailleurs sont déclarés en Irlande, dont le droit social est loin d’être une référence.

Cette dernière initiative a valu à Ryanair d’être condamné à Aix en Provence, par le Tribunal correctionnel pour des faits de travail dissimulé, prêt illégal de main-d’œuvre et autres délits.

Les enquêteurs ont prouvé que les salariés débutaient et terminaient leurs missions au départ de l’aéroport de Marseille, répondant ainsi à la définition de la «base d’exploitation», précisée par un décret de 2006. Ils relevaient bien du droit social français.

La définition de la «base d’exploitation » résultant du décret de 2006, conforme au droit européen, a donc été validée par le Tribunal.

Pour autant, quelques jours après cette condamnation, un élu, le sénateur maire UMP de Marseille, Monsieur Jean Claude Gaudin, a demandé l’abrogation de ce décret à Nicolas Sarkozy, alors Président, et n’a pas hésité à gratifier Ryanair de la médaille de la ville de Marseille, élevant son PDG au rang de citoyen d’honneur pour services rendus au tourisme…

Cette cérémonie ne semble pas avoir eu la couverture médiatique qu’elle méritait! Dont acte.

D’autres pratiques et stratagèmes illégaux ou moralement condamnables de Ryanair méritent d’être signalés:

• l’interdiction pour les salariés de se syndiquer, les augmentations en étant tributaires ;

• l’embauche pour siéger à son conseil d’administration, en fin de mandat, de Charles MacCrewy, ex-commissaire Européen, chargé du marché intérieur et des services, de 2004 à 2010. Avait-il un carnet d’adresses ou une influence quelconque auprès des fonctionnaires européens? La Commission a tranché et estimé qu’il n’y avait pas de conflit d’intérêts!

LA COMMUNICATION DE RYANAIR : LE “BUZZ” PERPÉTUEL

Les annonces provocantes de O’Leary (PDG de la compagnie) – sur les passagers voyageant debout, taxes sur les obèses, sur les “blow job” (prestations égrillardes) en classe affaire sur les futures lignes Low-cost long courrier – n’ont qu’un but : faire parler de Ryanair, pour faire fonctionner sa machine financière. Ces informations malsaines et irréalisables font la joie de certains organes de presse, qui ne se sont pas avisé que Ryanair les utilisait pour sa publicité.

Plus une annonce est irréalisable et vulgaire, et plus le nom de Ryanair circule sur la toile.

Ryanair est ainsi le 4e mot le plus utilisé sur Internet en Espagne, son premier marché avec plus de 30 millions de passagers transportés.

LA SÉCURITÉ: SUJET SENSIBLE

Plusieurs articles de presse ont fait état d’une polémique touchant à la sécurité.

• la maintenance des avions de Ryanair est effectuée par des sous-traitants qui n’ont parfois que Ryanair comme client ! ces mécaniciens sont-ils formés comme les autres?

• le nombre d’incidents (sorties de piste, queues d’avion heurtant le sol…) interroge sur la formation des navigants;

• la vitesse de rotation entre deux départs étonne.

• la longueur du temps de travail pour certains pilotes, trop fatigués pour pouvoir suivre les consignes de la tour de contrôle!

Ce sont les atterrissages en urgence qui ont fait le plus parler en raison de leur nombre élevé: Trois avions déroutés de Madrid vers Valence le même jour et leur atterrissage prioritaire en raison de manque de carburant ont marqué les esprits.

La question posée de l’emport de carburant calculé par les commandants de bord, en cas de détérioration des conditions de vol, a suscité des poursuites pour diffamation contre plusieurs journaux et une chaîne anglaise, Ryanair faisant état de 29 années sans accident pour sa défense.

Ryanair n’est pas un cas isolé. Son inventivité est juste perpétuellement à l’affût de nouvelles ingénieries financières pour rémunérer ses actionnaires. Il s’installe à présent dans de grands aéroports internationaux en Espagne, en Italie ou récemment à Bruxelles, en ayant réussi à mettre en difficulté les compagnies nationales, avec la bénédiction de la Commission européenne, pour les courts et moyens courriers. Il a ainsi confirmé la commande de 175 Boeing, ce qui en dit long sur ses projets, favorisés par les brèches qu’ouvre la déréglementation, la baisse du pouvoir d’achat et la pusillanimité des gouvernements.

L’économie Low-cost est la réponse dangereusement contagieuse du capital à la crise qu’il a provoquée par le déséquilibre entre les revenus du capital et les revenus du travail, dans une  Europe sociale inexistante.

La paupérisation croissante des populations de la Vieille Europe s’accentuera si une réaction vigoureuse, citoyenne et politique, ne remet pas d’aplomb l’économie, au service du éveloppement et des besoins humains.

JOSÉ ROCAMORA est syndicaliste CGT à Air France.

À voir : Ugict CGT. Un documentaire d’Enrico PORSIA : « La face cachée du Low-cost. Enquête sur le système Ryanair. » www. verite-lowcost.com

À lire : Ryanair Low-cost, mais à quel prix ? Ed. Altipresse. Ch.Fletcher

Une réflexion sur “Low-cost : les dessous du modèle Ryanair, JOSÉ ROCAMARA

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