Introduction : Ces atouts gâchés par l’Europe libérale, FRANCIS WURTZ

« Modèle social européen » ; bourses Erasmus ; règlement REACH (pour une meilleure maîtrise des risques chimiques); plan d’action européen contre le réchauffement climatique ; Airbus… Ce type de références est souvent évoqué pour tenter de redorer le blason d’une «Europe» en butte à une crise de légitimité sans précédent. C’est en quelque sorte l’hommage du vice à la vertu ! Il s’agit, en effet, d’atouts largement gâchés du fait des choix libéraux et des structures mises en place pour les servir dans l’actuelle UE. Seule une construction européenne refondée, autrement dit coopérative et solidaire, pourrait leur permettre de s’épanouir.

Ainsi, c’est un fait qu’en matière de protection sociale, de services publics et de droits sociaux, l’Europe a traditionnellement une longueur d’avance sur d’autres régions du monde. Mais cet atout est vu comme un boulet par les chantres de la «compétitivité». Angela Merkel n’a de cesse de fustiger des acquis qui font que, selon elle, l’Europe «compte 7 % de la population, 27 % des richesses et… 50% des dépenses sociales du monde» ! L’urgence, dans cette logique, est d’en finir au plus vite avec cette anomalie.

D’ailleurs, le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, l’a déjà annoncé aux « investisseurs » : « Le modèle social européen est mort » (1). Dans les pays «sous assistance financière», il a été enterré par la « Troïka » !

Les laudateurs de l’actuelle UE arborent également « Erasmus » comme une fleur à la boutonnière. Et pour cause : les étudiants qui en bénéficient plébiscitent cette chance qui leur est offerte de s’ouvrir à d’autres cultures, d’acquérir des compétences nouvelles et de faciliter la recherche d’un emploi! Le problème est que seule une infime minorité de jeunes a accès à cette mobilité positive, tandis qu’un jeune européen sur quatre est au chômage et bien d’autres galèrent dans la précarité.

Même phénomène en matière sanitaire et environnementale: le règlement REACH constitue effectivement la législation la plus exigeante du monde du point de vue de la responsabilisation des industriels dans la maîtrise des risques chimiques. Mais il faut savoir que cet atout fut conquis de haute lutte contre le Commissaire à l’industrie qui appela à ne plus jamais adopter pareil texte « néfaste pour la compétitivité (2) » !

Autre cas à noter : celui du programme européen «Énergie-climat». Des engagements, certes critiquables, mais s’inscrivant néanmoins dans la perspective d’une transition vers une économie « bas-carbone » ont été pris par le Conseil européen en 2009. On applaudit… mais, cinq ans après, l’élan s’arrête déjà : au nom – toujours – de la « compétitivité », aucun nouvel accord n’a pu être trouvé à ce jour entre les « 28 » en vue de la Conférence internationale de Paris sur le climat en 2015 !

Quant à la référence suprême, Airbus, s’il s’agit d’une incontestable prouesse technologique et commerciale, force est de constater que la « coopération exemplaire » d’hier, guidée par une forte volonté politique, a laissé place à une gestion capitaliste classique, avec ses licenciements, ses délocalisations, sa loi des actionnaires.

Que dire, enfin, de la Banque centrale européenne, dont le pouvoir quasi illimité de créer de la monnaie est aujourd’hui entièrement mis au service des banques et des marchés financiers ? Imaginons les horizons nouveaux qui s’ouvriraient à l’Europe si cette faculté bénéficiait aux investissements publics pour la promotion des capacités humaines et la transition écologique !

Tous ces atouts aujourd’hui gâchés ou dévoyés constituent autant d’appels à ouvrir résolument le grand chantier de la réorientation de cette « Europe » en perdition, en vue de sa refondation.

FRANCIS WURTZ est député européen honoraire.

(1) Wall Street Journal (24/2/2012).

(2) M. Verheughen en décembre 2006.

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