Hôtesses de caisse (caissières) dans les grandes surfaces : quel avenir ? – Anne Rivière

Hôtesses de caisse (caissières) dans les grandes surfaces : quel avenir ?

La présence majoritaire des femmes dans les fonctions de caissières ainsi que des jeunes étudiants, jeunes diplômés sont une caractéristique de ce secteur. L’apparition des caisses automatiques questionne. Faut-il y voir une possibilité de s’affranchir d’un travail pénible ou est-ce un moyen de plus pour augmenter les marges et licencier ?

 PAR ANNE RIVIÈRE *,

Médias et sociologues montrent un vif intérêt pour le métier de caissière dans la grande distribution, qui concentre des questions sociales très sensibles. Cela concerne des emplois à dominante féminine, dits peu qualifiés, aux salaires très bas, à temps partiel souvent subi (37 % des emplois), aux horaires mal commodes impactant la vie familiale. S’y ajoute la monotonie et pénibilité particulières, soumis à des calculs de rendement, d’intensité et stress ainsi qu’un regard social souvent dévalorisant. Un mouvement social très courageux en 2008, impensable pour certains, a fortement pointé le phénomène du « travailleur pauvre », dont le salaire trop bas ne lui permet pas de vivre. Pour les principaux employeurs concernés, la solution fut le « travailler plus pour gagner plus », c’est-à-dire passer des 28 ou 30 heures subies au soi-disant temps complet « choisi », avec cinq heures de complément à passer en rayon, ou en bijouterie ou à toute autre tache. Cela représente environ 200 €pour compléter des salaires de800€et un accès à la «polyvalence » salvatrice pour augmenter l’intérêt du métier, avoir moins de manipulations et de poids à porter et plus de contact avec le client. Avec l’apparition des caisses automatiques en libre-service et des « douchettes » (des scanners code-barres pour clients), ces emplois sont-ils menacés ? La grande distribution va-t-elle rester un employeur massif avec les nouveautés techniques ou organisationnelles que certains préparent ?

L’effectif global approche 150 000 personnes, avec de forts taux de turnover, qui suscite des embauches en continu pouvant faire illusion. Une dominante féminine et une forte présence étudiante qui se complètent pour les répartitions d’horaires. Une caisse automatique coûte de15000 à 20000€ avec un retour sur investissement en trois ans et il y en a environ 4 000 à 5 000 en France. Elles ont été testées prudemment, il n’y a pas eu d’introduction massive susceptible de déclencher une contestation ou la colère de clients, qui n’aiment pas attendre, mais n’aiment pas non plus la croissance du chômage. D’autre part la disparition de l’humain dans leurs services préférés ou obligatoires les heurte. Les publics ne sont pas homogènes dans leurs âges, leurs cultures, leur adaptabilité aux nouveautés et les distributeurs sont prudents.

UN NOUVEAU « RAPPORT AU CLIENT »
Ainsi, le mouvement social de 2008 a fortement frappé l’opinion, échaudé par une forte expansion de l’automatisation dans les banques, les cinémas, la Poste (42 000 emplois perdus de 2002 à 2007), et déjà à l’époque dans la grande distribution. Aussi l’introduction des caisses automatiques n’a-t-elle été que très progressive sur dix ans, présentée invariablement par les cadres de la profession comme un complément de moyens souple pour assurer la fluidité aux heures de pointe, avec mise à disposition très rapide de quatre ou cinq caisses contrôlées par une seule caissière, derrière un écran. Ce sont souvent les meilleures caissières qui tiennent ces îlots de caisses, réservées aux paniers plus qu’aux caddies. Leur travail change : de séquentiel et peu mobile, il devient une tâche intense de surveillance et de détection/résolution de problèmes en 4 lieux simultanément. La caissière peut bouger, aider un client, vérifier une tentative de chapardage, une pesée d’articles, et cherche à éviter la constitution de queue aussi derrière ces caisses-là en facilitant leur usage.Le rapport avec le client devient un rapport de formation « professionnelle », plus ou moins bien accepté, nécessitant plus de diplomatie et d’interactions patientes que le contrôle de caisse normal. On les forme pour jongler avec des logiques contradictoires : fonction d’accueil et guide pour résoudre les problèmes : mauvaise pesée, non-respect des consignes des écrans de machines, blocage sur un paiement de carte bleue, ne sont pas rares et chaque client se vit seul et n’a cure de la fluidité recherchée pour la file d’attente. L’obsession des responsables du magasin est pour ainsi dire que le client en ressorte le plus vite possible en ayant payé. Éviter les queues ou les réduire afin d’éviter que le client renonce aux achats. Le client est roi et est aussi « imprévisible » dans ses flux, surtout depuis les années 1980, où est apparue tout à coup la nécessité d’adapter le temps de travail et la présence des caissières à ses caprices. Ainsi au lieu du temps complet avec horaires réguliers, le temps partiel surgit comme le moyen par excellence de réduire cet aléa et de minimiser la dépense en salaire pour qu’elle colle au plus près aux flux de clients. La même « imprévisibilité » dans le discours persiste aujourd’hui, curieusement, alors que l’on connaît les moments d’affluence sur une année, ou sur un mois, empiriquement et par calcul informatique sur les données des années antérieures. Derrière « l’imprévisibilité » du flux de client, il y a donc eu construction sociale du temps partiel réservé aux femmes et à leurs contraintes familiales, large- ment financé par l’Etat (exonérations de prélèvements sociaux sur les bas salaires). Or, l’entrée massive des femmes sur le marché du travail s’était d’abord faite à temps complet. Si l’usage du scanner en caisse a réduit au maximum les temps morts, selon l’idéal entrepreneurial du flux tendu propre au secteur industriel, il a eu aussi d’autres effets : une caissière classique manipule jusqu’à trois tonnes de produits sur une journée de 8 heures et tourne 9 000 fois la tête. Cela finit par un très gros chiffre de troubles musculo- squelettiques ( TMS) et un million de journées de travail perdues en 2008, payées par la Sécurité Sociale ; celle-ci, depuis 2005, a mené campagne pour réduire cette incidence et les invalidités. Le patronat y a vu une raison de plus, peu avouée et peu glorieuse, pour contourner ce problème avec une recherche incessante d’innovations techniques ou organisationnelles. Les troubles de santé et rigidités d’horaires ont conduit certains employeurs à assouplir l’organisation des plannings en permettant aux salariées regroupées en îlots de planifier elles-mêmes sur trois semaines ou un mois leurs impératifs personnels. Ainsi un échange des moments « pénibles » est devenu possible, dans certaines limites, entre collègues: fermeture, nocturnes, Samedi et Dimanche, selon les secteurs et les régions qui ne sont pas toutes sur un pied d’égalité pour les moyens de transport ou de garde d’enfants etc. Cette expression des salariées a fortement réduit l’absentéisme partout où elle est appliquée loyalement.

Pour autant, le « choix » du métier de caissière en est-il un ? Ses transformations en cours doivent d’abord nous interpeller sur les questions des salaires et de la recherche d’égalité réelle, d’accessibilité concrète aux formations professionnelles des jeunes femmes, sur les questions de services publics utiles pour la garde des enfants, sur les transports, le logement, sur le statut du jeune travailleur en étude, sur les questions d’horaires jusqu’à 22 heures ou même minuit pour Auchan au Portugal! Liberté pour les uns, esclavage pour les autres ? La faiblesse des salaires et les conditions de travail des hôtesses de caisse apparaissent bien comme la trans- position d’un rapport social profondément inégalitaire qui conduit « naturellement » à leur sous-évaluation en matière de salaire et de droits sociaux (retraite). La surface de vente elle aussi est déclinée selon les prix des produits et la clientèle visée : les hypermarchés ne s’installent pas partout.

QUELLES RESPONSABILITÉS SOCIALES POUR LES ENTEPRISES ?
Alors que progressent la prise de conscience de cette question et ses traductions légales et jurisprudentielles, les innovations techniques et organisationnelles les plus récentes s’en évadent, dans « l’intérêt du client ». Ainsi ont été testées les puces magnétiques RFID, intégrées aux produits, à lire par une machine-tunnel à la sortie, mais leurs coûts élevés les réservent à des marchandises coûteuses ou spécifiques (bijoux…). Une autre formule connaît un important développement, dans la guerre concurrentielle des distributeurs : Le DRIVE. Le client ne met plus les pieds dans le magasin et commande sur internet sa liste de courses. Sous le signe du temps gagné, cette innovation séduit de nombreux clients motorisés, des mères avec enfants qui vont juste chercher le paquet sur des parkings réservés. En un an, deux mille sites ont été créés en France par Carrefour, Intermarché, et Leclerc aux grands projets. Au lieu d’une heure « client » pour le parcours de courses en magasin, l’employée recrutée, formée spécialement à la rapidité, met une demi-heure, ou même 10 minutes dans les formules avec entrepôt. C’est un succès indéniable : l’innovation permet de contourner la loi limitant l’implantation des grandes ou très grandes surfaces et se rit des efforts des édiles locaux pour préserver les petits commerces car il suffit de déposer un per- mis de construire. L’argument des créations d’emploi est avancé, ainsi que la pression concurrentielle scrutée pour se « piquer » les zones de chalandise (attractivité commerciale). Remettre en cause ces métiers ? Oui, mais selon une logique progressiste : en identifier la valeur humaine et salariale réelle et en qualifier d’autres pour briser l’enferme- ment dans le sous-emploi et la précarité. Revoir les prix et com- ment ils sont fixés, hors de toute considération de juste rémunération et de dégâts écologiques et garantir des produits de qualité, préservant la santé. Un autre modèle agricole redéfinissant les liens producteurs consommateurs. Le « modèle » de la voiture à remplir le samedi ou le soir tard dans des grandes sur- faces lointaines sous prétexte d’économies connaît un certain déclin. Les hypermarchés souffrent d’une relative baisse de rentabilité depuis la crise de 2008 suite aux restrictions dues au chômage et aux salaires insuffisants. Le chiffre d’affaires de la grande distribution frise tout de même les 300 milliards, avec un effectif global de 600 000 emplois (caissières et personnels divers) et représente environ 70 % du commerce alimentaire en 2012.

Hitmans_barcode

Inventé en 1949, en usage à partir de 1973 aux États-Unis, le code- barres est aujourd’hui massivement utilisé dans le commerce. Il sert également dans tous les secteurs qui nécessitent un contrôle étroit du processus de production, de traçage et suivi des produits (biotechnologie, médecine…). 

*ANNE RIVIÈRE est juriste et membre du comité de rédaction.

À lire :

– Guide pour une évaluation non discriminante des emplois à prédomi- nance féminine. Ouvrage collectif sous l’égide du Défenseur des droits, R. Silvera, S. Lemière, M. Becker

– Travail et automatisation des ser- vices: la fin des caissières? Sophie Bernard. 2012.Éditions Octares.
– Article de l’Humanité 25/01/2008, de Margaret Maruani.

2 réflexions sur “Hôtesses de caisse (caissières) dans les grandes surfaces : quel avenir ? – Anne Rivière

  1. Les « caisses automatiques » ne sont pas tellement plus automatisées que celles dont disposent les caissières, elles sont justes destinées à être utilisées par le client… auquel une caissière apprend le métier (apprendre son travail à celui qui va le faire à votre place et gratuitement… bonjour le paradoxe). On devrait donc peut-être les appeler « caisses sans caissière ».

    1. nos concitoyens se plaignent de payer des gens à rien faire! Les chômeurs, bénéficiaires du RSA et autres allocations; et pourtant certains par leurs comportements utilisation de ces <> ne sont-ils pas conscients qu’ils aggravent encore le chômage? ont-ils une économie sur leurs marchandises?
      Cela n’a qu’un but supprimer encore du personnel et enrichir encore et encore les actionnaires!
      Quand je fais mes courses à Auchan, des caissières parce qu’elles ont les consignes de leur responsable de proposer aux clients d’aller à « ces caisses automatiques » moi je dis NON! <> C’est à nous les consommateurs d’être des gens responsables! d’analyser nos actes, comportements, c’est comme pour l’ouverture des commerces le dimanche; avons-nous besoins de faire nos provisions le dimanche et les jours fériés? ceux qui le font! si demain leurs patrons leur demandaient de bosser le dimanche seraient-ils contents? Alors Est-ce de l’inconscience? de l’égoïsme? Ne pouvons-nous pas nous organiser autrement?
      A une époque les gens n’avaient pas de réfrigérateur, congélateur, machine à laver, gazinière….les repas étaient cuits sur la cuisinière à bois croyez-vous qu’ils auraient faits leurs courses les dimanches ou jours fériés? Bien sûr il y a les bons de réductions ces jours là! et bien malgré tout apprenons à dire non!
      Carrefour Market à racheté la marque Billa en Italie ces commerces étaient ouverts les dimanches matins, ils le sont aussi la nuit maintenant, mais si les gens n’y allaient pas? ne disaient pas Amen à tout? Que ferait la grande distribution? Et bien elle s’inclinerait devant les choix du peuple!

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